APHRODITE

Le nu le plus célèbre de l'histoire de la sculpture :
L'Aphrodite de Cnide de Praxitèle
Ou : Un Modèle de perfection sculpturale

Œuvre de PRAXITELE : A qui elle apporta une gloire immortelle ! Cet artiste athénien du milieu du 4e s. BC , très populaire et abondamment copié. est fils, puis père de statuaire. Il est aussi le 1e à se rendre célèbre pour ses marbres et non ses bronzes. Il succède à Phidias, à Myron, à Scopas, a Polyclète et précède Lysippe. Ces 6 géants de la sculpture, dont deux sont aussi des architectes accomplis, travaillent tous pendant l'âge du classicisme et jusqu'au début de l'art hellénistique, donc dans une fourchette de moins de 150 ans. De tous leurs chefs-d'œuvre, seul l'Hermès d'Olympie nous est resté et pourrait être un véritable original, d'ailleurs de Praxitèle.

ELLE A DISPARU : Comme tant d'œuvres d'Art profanes pillées sur ordre de l'empereur romain Théodose (celui-la même qui détruisit tant de temples pour construire des églises chrétiennes) et prises à Constantinople au 4e s. AD, la merveille de Cnide sera exposée dans la nouvelle capitale de l'Empire romain, et disparaîtra dans un énorme incendie du palais de Lausos un siècle plus tard . On ne la connaît que par des copies, et une copie, surtout d'une œuvre en marbre, ne peut reproduire exactement l'original dans sa finesse et ses détails. Tous les voyageurs et historiens d'Art de l'époque le diront à l'envi = Toutes les copies hellénistiques, et Dieu sait s'il y en eut a profusion, ne font nullement honneur a l'original lequel était si parfait que les Cnidiens refusèrent de le céder au roi Nicomède, qui proposait pourtant en troc d'effacer les dettes énormes de la cité envers lui. Idée intéressante pour notre dette publique ???

EN MARBRE : De PAROS. En Grèce, on utilise le marbre du Pentélique, près d'Athènes, pour les Monuments, et on réserve celui de l'île de Paros, moins grainé, moins dur, pour les statues. Je vous rappelle que la sculpture avait utilisé précédemment l'argile (jusqu'au 7e s. BC), la Cire , le plâtre, la pierre ( soit le grès, le dur granit, le porphyre a la couleur rouge violacée(en Egypte), le basalte, la serpentine), le marbre, l'argent, l'or, l'ivoire (Quand on mélangeait l'or et l'ivoire, vous le savez, on appelait la statue Chryséléphantine.. de Chrysos ou Khrusos = Or et Elephas = l'ivoire des Trompes de l'animal)… Mais, après les gigantesques Zeus d'Olympie et Athéna du Parthénon, de Phidias, les belles œuvres en sculpture de l'âge d'or grec ont été réalisées en grande majorité en BRONZE, et elles ont toujours idéalisé le beau à travers l'homme, athlète ou dieu. Seul Praxitèle sera plus marbrier que bronzier

D'ailleurs les artistes grecs ne polissaient pas le marbre : Ce sont les Romains, grands copieurs de statues grecques, qui favorisent le POLI et le marbre blanc. Et, puis-je vous rappeler que l'on croit sérieusement que beaucoup de statues grecques étaient PEINTES, et que c'est le 19e siècle romantique qui nous a habitué a amalgamer le BEAU et le marbre blanc immaculé, parce que c'est au cours de ce siècle que l'on succombe en grand a la mode des collections privées et des Musées nationaux, exposant des statues dont le temps, l'enfouissement ou les éléments de la nature ont effacé les colorisations. De plus les hommes et les dieux étaient imaginés hâlés, (auj. on dit Bronzés !!!!) les femmes et les déesses pâles = Tout comme la mode des Belles de l'Europe classique !

On a supposé que Praxitèle confia à NICIAS la peinture de certaines de ses œuvres, Nicias qui choisissait de donner aux cheveux des teintes dorées ou jaunes, aux lèvres une teinte rose et peignait en foncé la robe ou la tunique. On donnait des colorations fortes ou légères, protégées par des opérations dites CAUSIS ou GANOSIS, un traitement a l'encaustique fixateur- Cire fondue dans un peu d'huile. C'était censé empêcher que la lumière ne mange ou ternisse la couleur. Et, horreur pour le puriste ? , on ajoutait des ornements (Bracelets en métal, parures et broderies) à tout cela.

• Pour la prouesse et la patience, précisons qu'une statue en marbre, grandeur nature, prenait à peu près un AN de travail à l'artiste pour être achevée !!! Par contre, le jeu en valait la chandelle car on sculptait pour devenir célèbre, certes, mais aussi très riche. Chaque œuvre majeure était probablement récompensée de l'équivalent du prix de deux à cinq ans de subsistance aisée, a tout le moins. Mais beaucoup de sculpteurs et de peintres étaient des lettrés et des savants, et, lorsqu'ils étaient nés, ou devenus, fortunés, offraient en grands seigneurs leurs œuvres a leurs villes.

• Précisons aussi que la plupart des répliques romaines qui nous sont parvenues d'ici ou de là sont en marbre, alors que les originaux en bronze ont disparu car ils ont été irrémédiablement refondus a des époques ultérieures, par des artistes en mal de matériau ou des héritiers cupides. Le passage d'un matériau à l'autre contribua aux déficiences par la simplification et la schématisation qui y sont inhérentes.

EN RONDE BOSSE : C.a.d. complète en 3 dimensions, développée de tous les côtés, et non en reliefs avant comme sur les fameuses frises des Temples (ex = le Parthénon, ou le sanctuaire de Zeus a Olympie), La ronde-bosse est un exercice technique fort difficile qui oblige l'artiste a appuyer le corps reproduit sur des éléments (colonne, tronc d'arbre et autres artifices) qu'il faut rattacher habilement a la statue ; sinon, le poids entier de l'œuvre ne peut tenir sur les fines jambes , surtout pour une image de femme….De plus, les formes arrondies de son corps n'offraient pas de points d'articulation qui facilitaient la copie des statues masculines

Je vous rappelle que l'on vient de loin en moins de deux siècles, en matière de sculpture. Dans l'ordre = Archaïsme, style sévère, 1e classicisme, 2e classicisme, enfin style hellénistique.

A l'âge archaïque, la Grèce est encore en train de se dégager de l'influence égyptienne, et la rigidité comme la frontalité dominent la statuaire= Les Kouros et Korê ! Ensuite, on a décoré les Temples, leurs métopes et leurs frises, intégrant les figures au cadre architectural, pour s'attaquer ensuite a la représentation sévère des dieux puis des hommes célèbres. Phidias, le ministre de la Culture de Périclès, patron du chantier de l'Acropole d'Athènes, est le sculpteur des « dieux ».Myron a introduit la recherche du mouvement et la mobilité dans la sculpture, Scopas, vigoureusement créatif, s'est consacré au style tourmenté, violemment expressif. A peine un siècle avant Praxitèle, les règles a suivre pour reproduire le corps humain avaient déjà été fixés par le célébrissime « Canon » ( Kanon, c.a.d. la Règle )de Polyclète, œuvre qui prouve que cet artiste avait voulu transposer les mathématiques de l'architecture a la sculpture ; Théoricien, il avait étudié les proportions en règles mathématiques bien observées de l'anatomie humaine dans le Nu masculin debout et soumit donc ses œuvres a ces proportions précises (ex. = Tête = 7 fois la hauteur totale. ) Ses œuvres sont calmes et très équilibrées. Lysippe, lui, décide de diviser par 8 le corps humain, la tête devient plus petite et le corps plus élancé. Au temps de Jules César, l'architecte romain Vitruve reprendra le thème de la symmetria ou proportions harmonieuses, et même Léonard de Vinci s'y pliera 19 siècles plus tard. Pour être honnête, les grands maîtres de la statuaire grecque furent souvent des architectes accomplis. S'ils n'étaient pas créateurs, on les qualifiait de simples artisans.

NUE : Jusqu'alors, on ne sculptait pas de femme nue en Grèce ; De toute façon seul le nu masculin était acceptable, et idéalisé, en Grèce classique. Quoique les athlètes à l'entraînement ou en compétition fussent nus, dans l'Art proprement dit, le NU ne possède pas de connotation artistique. Le nu féminin n'est réservé qu'à des motifs religieux, strictement pour évoquer la fertilité (la Diane d'Ephèse), ou bien sur des vases peints, pour transcrire un caractère magique. Partant, la perfection de la Plastique est Divine, Masculine ; le commun des Hommes est toujours représenté imberbe (ça changera seulement avec Hadrien au 2e s. A) et surtout en Habits …Les Œuvres d'Art sont produites par des hommes pour des hommes. Ce ne sont pas des reproductions fidèles, mais des images idéalisées, qui doivent rester impérissables et vaincre le temps. De plus pour les Grecs de l'âge classique, la perfection de l'âme doit répondre à la perfection du corps. Et voila Praxitèle qui rompt ce tabou. Il sculpte la déesse nue, avec les traits d'une personne bien vivante, et courtisane de surcroît!!! Scandale immense car le réalisme achevé pour les dieux et les athlètes, c'est une chose, mais pour une déesse, la déesse de l'amour, c'est autre chose.

D'ailleurs, lorsque Praxitèle reçoit la commande, elle vient tout d'abord du prestigieux Temple d'Artémis (Diane) à Ephèse, les statues devant orner l'Autel. Mais la Merveille (l'une des 7 merveilles) brûle criminellement en 356…, le soir même dit-on ou Alexandre de Macédoine vient au monde. Praxitèle doit placer ses œuvres ailleurs. Pour les riches notables de l'île de Cos, il est ravi de figer dans le marbre la femme dont il est épris, et dont le corps a dû le rendre fou, alors il ose, il ose exécuter une statue de femme nue et il l'expédie à Cos ou elle est refusée tout net. Il la propose alors à la cantonade et est ravi d'apprendre que Cnide, voisine de Cos, l'adopte pour son nouveau temple. L'artiste en exécute même une en bronze doré soit pour Thespies ou encore ??? le nouveau (mais moins prestigieux) Temple de Diane a Ephèse, soit sur un pilier de marbre pour le sanctuaire de Delphes, œuvre qui fut, dit-on, offerte par ses voisins admiratifs ! .

Mais attention elle est nue, mais PUDICA , c.a.d. que les parties génitales ne sont pas représentées, contrairement à celles des hommes dans la sculpture de l'époque. Quoique, on suppose que certaines statues recevaient un ornement de pilosité peint ! Et, pour respecter les canons de la beauté de ce temps-là une belle femme a une petite gorge, c.a.d. de petits seins On a ainsi lancé les règles de l'esthétique statuaire pour les deux mille ans à venir… (Même les attributs des mâles doivent être tout petits, fi d'un vulgaire et gros pénis !) La Rome de la Renaissance et des Papes trouvera d'ailleurs moyen de les couvrir par la célèbre feuille de vigne rajoutée a profusion pour souscrire à la règle du : Cachez… ce que je ne saurai voir ! La main droite de notre Aphrodite cache d'ailleurs pudiquement ses parties alors que l'autre main laisse choir (ou empoigne) son vêtement au-dessus d'une amphore.

Il nous est difficile d'imaginer l'époque pour laquelle une telle figure apparut comme une nouveauté absolue, ainsi que l'effet qu'elle dût avoir pour ses spectateurs, mais il est certain que la statue fut instantanément célèbre et le scandale quasi général. Il y avait déjà eu des représentations de femmes nues dans l'art grec, (ex = Les Niobides mourantes ou fuyantes de la sculpture architecturale, ou un sein de combattante Amazone) mais cette nudité était justifiée par un contexte narratif. Avec la Cnidienne, on mêlait l'esthétique au voyeurisme, le sacré au profane, la religion aux sens.