APHRODITE
Le nu le plus célèbre de l'histoire de la sculpture : L'Aphrodite de Cnide de Praxitèle Ou : Un Modèle de perfection sculpturale
L'île de Cos dut se contenter d'une version demi-nue, qui pourrait être celle qui a inspiré les Aphrodites dites de Capoue et d'Arles. L'Aphrodite de Cos est souvent considérée comme ayant inspiré (avec bien des variations dans le thème) notre trop célèbre (donc plus assez regardée ?)Vénus de Milo.
Mais alors que la Vénus de Milo arbore une expression neutre et solennelle, notre Aphrodite est VIVANTE, bien vivante…
VIVANTE : Elle est ICONICA, soit un portrait, c'est à dire qu'elle reproduit les traits d'une personne réelle et non imaginée. Elle arbore un demi-sourire esquissé dans un visage doux et tendre, le sourire est probablement voulu par l'artiste pour évoquer la respiration : Voilà, elle est bien animée.. Et elle nous est livrée en plein mouvement, surprise et au sortir de son bain (ou y rentrant), a l'instant ou elle saisit un linge qui lui servira à se sécher ou bien a se vêtir ! Comparons cela aux divinités sévères et figées de l'art archaïque, puis aux plissés drapés du classicisme et vous verrez ce que Praxitèle apportait de délicatesse extrême et de nouveauté dans l'expression du charme physique. Nous sommes aux portes de l'Art hellénistique, la rigueur des sujets s'éloigne. Il est vrai qu'en même temps Scopas avait forcé sur la passion, le pathétique mais était resté dans les compositions sacrées ou les drames. On dira qu'avec notre artiste, « Même les Dieux deviennent fatigués » pour parler de la langueur praxitélienne.
Mais elle est bien DIVINE, car elle ne s'étend pas, ne ferme pas les yeux, ne dort pas, ne jette aucun regard sur le spectateur auquel, en bref, elle ne s'abandonne nullement !!!
L'ennui, c'est qu'après cela, la statuaire va se lancer pour trois siècles dans un maniérisme excessif, ou l'histoire racontée prend le pas sur la symbolique classique. Il faudra ensuite les Romains pour ramener la sévérité et la Raison dans l'Art , ce qui ne les empêchera pas de copier, mais seulement de copier, à tire-larigot l'érotisme joyeux des Grecs en reproduisant en marbre toutes les merveilles de bronze de l'Hellas.
COURTISANE : Les courtisanes grecques étaient belles, attirantes et soignées, lettrées, et même héroïques a l'occasion. Rien à faire avec la prostituée vulgaire , la PORNE, ou l'aulétrice, joueuse de flûte et danseuse des soirées épicées. Appelées Hétaïres , les courtisanes se teignaient les cheveux en blond et devaient, pour répondre aux critères de la beauté, avoir une petite gorge. Un décret civique les contraignait à porter une robe fleurie .. Citoyennes libres, elles se permettaient de choisir leurs compagnons mais ne pouvaient pourtant pas pénétrer dans un temple.
• Quelques Hétaïres légendaires = Clepsydre, dont on disait qu'elle posait un sablier a son chevet pour signifier au visiteur le temps imparti a la visite galante.. D'où le nom grec de l'instrument ; Cyrène qui pratiquait 12 manières de faire l'amour ; Lamia, pour qui le Roi Demetrius Polyorcète avait instauré une taxe sur le savon pour financer les caprices de la belle : D'ailleurs cela attira forcement le commentaire « qu'elle devait être bien plus sale (de comportement) que prévu pour avoir besoin de tant de savon !… Laïs qui refusa 2 fois de coucher avec le sculpteur Myron, la 1ère nuit parce qu'il s'était présenté sale et négligé, la seconde lorsqu'il s'était rasé et baigné : « Tu me demandes de t'accorder aujourd'hui ce que j'ai refusé hier a ton père »….
Praxitèle lui, avait déjà été amoureux d'une courtisane nommée Cratiné ! mais c'est Phryné qui sera sa complice pour notre affaire, Phryné qu'il immortalise dans la pierre pour la payer de ses faveurs.
PHRYNÉ : Elle ne s'appelait pas Phryné, mais Mnésarète, seulement la pâleur de son teint, ou bien l'éclat doré de son teint parfait, lui valut le surnom « Phryné » c.a.d. Crapaud ( donc blanchâtre) en Grec. Elle était née à Thespies en Béotie (fille d'Epiclès !) mais professa à Athènes a partir de 371 BC ??. Coûteuse, on l'affubla du surnom du « Crible » pour ce qu'elle provoquait comme infortunes financières à ses admirateurs. La légende veut d'ailleurs que sa fortune lui permit d'offrir de rebâtir Thèbes après sa destruction par Alexandre le Grand à la condition qu'on afficha à la porte principale de la ville : « Alexandre l'a détruite, Phryné l'a rebâtie ! » Mais Thèbes refusa…Modeste, ne livrant son corps a ses amants que dans l'obscurité (Oh ! ironie, pour quelqu'un a qui la célébrité ne viendra que complètement dévoilée) habillée conventionnellement en public, elle ne se baignait en public, qu'aux fêtes annuelles d'Eleusis et Poséidon, drapée dans des vêtements mouillés qui, plaqués sur elle, ne cachaient rien de ses formes, attirant des milliers de spectateurs confondus par son extraordinaire beauté. Un seul homme, le philosophe Xénocrate résista a ses charmes, et Phryné, ayant passé une nuit à tenter en vain de troubler l'austère personnage, dut s'exclamer haut et fort « : « J'ai parié de séduire un homme, non une statue » Elle fut la maîtresse du peintre Apelles , puis de Praxitèle. Un beau jour, le sculpteur lui promit de lui offrir une de ses meilleures œuvres, mais sans se résoudre à choisir dans le tas –Phryné attendit qu'il soit sorti de l'atelier, paya un esclave afin qu'il coure chez Praxitèle au marché et lui crie au visage : »Maître, Maître, votre atelier a brûlé, et tant d'œuvres semblent détruites », ce qui fit gémir l'artiste : « Dieux, mon Satyre et mon Eros sont donc perdus ! » Voilà qui indiqua enfin a la malicieuse les préférences de Praxitèle, et elle jeta alors son choix sur l'Eros, qu'elle offrit plus tard a sa ville natale = Il y resta 400 ans jusqu'à ce que l'empereur Néron le réquisitionne et l'emmène a Rome.
En 375 BC, elle fut traînée par Euthias, un jaloux excité par les épouses d'Athènes, ou bien postulant déçu, devant le tribunal pour un procès en impiété = Elle s'était produite en public pendant la fête sacrée, détournant le peuple du culte des dieux. Aspasie, la compagne de l'homme d'Etat athénien Périclès avait connu les mêmes déboires en 432 BC, et le grand personnage politique se laissa aller jusqu'a pleurer devant les juges. Mais Phryné risquait carrément la peine de mort pour sacrilège, en effet, on lui reprochait a la limite d'inventer une divinité a son propre compte, le compte de la beauté insolente, trop provocante.
A l'époque la séparation entre la religion et la politique n'existait pas, le culte des dieux était au cœur de la vie civique, et une prostituée, même de haute volée ne pouvait profaner les mystères et les rites en se livrant à des manifestations publiques proches de la parodie. Phryné corrompait aussi les plus illustres citoyens. Allez !!! , au tribunal = L'aulétride Myrrhina et l'hétaïre Bacchis convainquirent le célèbre orateur Hypéride de défendre Phryné…L'avocat décida peut-être de se faire payer en nature, il tenta de faire passer sa cliente pour une prêtresse ou émissaire d'Aphrodite, toujours est-il qu'ayant testé les limites des mots face à la croyance et de la Raison face au Sacré, il perdit pied devant la sévérité du jury, et se retrouva dans une impasse. Phryné allait être condamnée, honnie, exécutée. Il réalisa alors qu'il ne pouvait gagner qu'en offrant aux Héliastes une révélation. Alors, dans un geste théâtral, il dénuda en plein tribunal sa cliente jusqu'à la taille. La perfection de la créature émerveilla l'audience et provoqua l'acquittement = Un corps aussi parfait ne pouvait décidément pas contenir une âme corrompue. La déesse Aphrodite elle-même devait être incarnée dans tant de grâce, participer a cette plastique.
Le tableau de Gérôme, au 19e s. est donc faux = C'est jusqu'à la taille seulement que l'avocat eut besoin de dévoiler la Belle !!!
Une version moins théâtrale veut que Phryné ait fait le tour de la salle, saisissant les mains de chaque juge et, en larmes, obtenant finalement sa propre grâce. Mais nous nous en tiendrons à la 1ère légende= Ce qui est sûr, c'est qu'après cela on interdit deux choses au tribunal = La nudité (Ben voyons) et la lamentation = On ne pourra plus se tordre les bras et pleurer son soul pour émouvoir la justice = Notre monde moderne applique toujours ces mêmes règles
Vers la fin de sa vie, Phryné, décidément précurseur en tant de sujets, inventa une pâte cosmétique pour prévenir les rides. Elle ignorait que sa beauté ne vieillirait jamais, que son visage lisse et harmonieux serait exposé dans tous les coins du monde depuis les grandes demeures anglaises jusqu'aux musées et aux collections les plus cotées. Auj. lorsque nous pensons à Aphrodite, c'est encore le corps de Phryné que nous voyons. Praxitèle qui avait si bien su capter son extraordinaire beauté et sa vitalité avait fixé pour des siècles le modèle du nu féminin hellénistique. Ce nu féminin qui s'installe dans l'histoire de l'Art pour assumer un double rôle = Sujet de composition idéal, et gracieux, et ….voyeurisme masculin …mais raffiné.
Après Cnide, les statues de nu féminin déferlent dans le monde Antique, faisant dire à Pierre Louys a propos des Grecs :
« Peuple admirable, devant qui la beauté pouvait paraître NUE sans exciter le rire ni la fausse honte «.
Nous en connaissons l'Aphrodite d'Arles (qui vient probablement de la version de Kos), et sa cousine celle de Capoue, l'Aphrodite du Capitole, l'Aphrodite Médicis, l'Aphrodite accroupie, l'Aphrodite Anadyomène , l'Aphrodite Callipyge que Néron s'approprie pour sa maison dorée a Rome, la Vénus de Milo, la Victoire de Samothrace,
21 siècles plus tard, le dernier nu féminin sera réalisé par le sculpteur néo-classique italien, Antonio Canova, qui fixera le corps d'une autre femme aux mœurs faciles, la jolie Pauline Bonaparte, Princesse Borghèse, la propre sœur de Napoléon Ier, dans une Vénus Victrix allongée qui clôture la statuaire a la manière antique. Pour l'anecdote, vous savez tous que lorsqu'on s'étonna devant l'impudique mais si charmante Pauline sur ses séances de pose, dans le plus simple appareil, elle répliqua : « Mais l'atelier était chauffé !! »
Voilà, je termine cette histoire qui montre qu'un mortel et une mortelle ont créé une immortelle, l'éternité naît de la mortalité, et le poète allemand Goethe pourra s'exclamer : « It is not a great matter to make a goddess into a witch, or a virgin into a harlot, but to achieve the CONTRARY, to give the humiliated dignity, to make the fallen worth coveting, for that… = either Art or character is needed. « (GOETHE 1749-1832)
Traduction libre = Il n'est pas difficile de faire d'une déesse une sorcière ou d'une vierge une putain… Mais de réussir le contraire, de conférer aux humiliées de la dignité, de rendre désirables les déchues.. pour cela, il faut de l'ART ou du CARACTERE…
Conférence donnée par l'auteur à Beyrouth en 2005.