Personnages Historiques ayant foulé le sol du Liban
Cléopâtre à Damour, Saladin à Baalbek, Tamerlan aux Cèdres,
Mais aussi Ramsès II, Richard Cœur de Lion, Saint Louis, Lamartine, de Gaulle, et tant d’autres…..
Par Nohad Schoucair, 2014
Lorsque l’on parle du Liban, et de son passé historique, on mentionne toujours le fait que des armées innombrables et des envahisseurs gourmands ont souvent labouré son sol, que des Empires l’ont absorbé, des flottes militaires ont tutoyé ses côtes, et que sa montagne aux pentes escarpées et aux cimes élevées a toujours servi de refuge à une population méfiante ou apeurée de ces va-et-vient martiaux, et jalouse de préserver certaines spécificités religieuses ou culturelles, ou simplement de sauver sa peau dans un environnement agressif.
Ce qu’on rencontre moins, à l’exception de rares cas plutôt contemporains, ce sont les personnages historiques qui ont passé par la Phénicie ou le Liban, depuis ceux qui y sont venus avec des objectifs liés à cette montagne « bleue » jusqu’à ceux qui ont transité sur notre sol alors qu’ils poursuivaient des desseins plus vastes.
Nous allons tenter ici de passer en revue, de manière nullement exhaustive, cette liste de « célébrités « réellement internationales, figures qui ont marqué leur temps ou frappé les imaginations, ces figures historiques ou culturelles qui grandissent immanquablement ce qu’elles ont touché, convoité, géré. Comme nous spéculerons très brièvement sur celles qui ont pu connaître nos régions mais dont l’Histoire n’a gardé aucune preuve définitive.
Qu’il nous soit permis ici de faire l’impasse sur Jésus de Nazareth, en tant que personnage historique, car la polémique sur une visite du Christ au village de Cana pourrait remplir des dizaines de pages, puisqu’on ne sait toujours pas avec certitude si le village des « noces bénies » se situait en Terre Sainte ou dans les limites frontalières du Liban moderne. A l’époque, la Galilée du Nord indiquait une zone qui pouvait par moments inclure le Sud libanais actuel. Pardonnez-nous donc d’omettre la plus grande figure historique de tous les temps de notre article, et soyez indulgent avec l’orgueil libanais qui veut que le meilleur et le plus Bon des Hommes, le Fils du Dieu des chrétiens, ait embelli notre sol national, pour, excusez du peu, y accomplir son tout premier miracle public. Miracle que seul son magnifique amour filial pour Marie l’ait forcé à exécuter, alors qu’il se voulait encore un « Maître » humble et discret.
RAMSÈS II
Commençons notre promenade par la première civilisation d’Orient, et par le Pharaon le plus renommé des anciennes dynasties égyptiennes, ce Ramsès II dont le règne flamboie tant par sa longévité que par la stabilité et l’étendue de son empire.
Nous sommes au 2e millénaire avant notre ère, en mai de l’an 1274 av. JC., notre Orient est dominé par deux empires rivaux, celui des Hittites au Nord avec pour centre de gravité l’actuelle Anatolie et les contreforts du Taurus, et au Sud, celui des Pharaons d’Egypte, empire déjà bien ancien puisqu’il perdure depuis plus de 2 mille ans. La superbe civilisation égyptienne a pour centre, naturellement, le grand fleuve africain du Nil, mais elle est souvent menacée par des incursions sauvages venues du Nord et les Pharaons s’en vont souvent guerroyer en Syrie, soit pour assurer leur emprise sur leurs frontières, soit pour prévenir des assauts comme ceux des Peuples dits de la Mer, ou plus tard des Hyksos. Les luttes entre égyptiens et Hittites, seuls empires dignes de ce nom à l’époque des Cités-Etats, durent depuis deux siècles et demi.
Lorsque Ramsès II, de son vrai nom officiel égyptien USER MAAT RA SETE PEN RA, s’en vient chez nous, il en est à sa vingt-quatrième année de règne, et à sa deuxième campagne en Syrie. La pression des armées du roi Hittite Mouwatalli II s’est accrue sur la Syrie du Nord, et Ramsès accourt pour endiguer la menace qui pourrait asservir le bassin de Méditerranée orientale, et couper l’Egypte d’une très grande zone de commerce et d’échanges fructueux. Le Pharaon a-t-il commencé sa campagne en passant par les rivages de Palestine actuelle, et les ports de Tyr et Sidon ? Menaça-t-il les Amorites à partir de Byblos, eux dont le roi félon, Ben-Teshina, passé dans le camp Hittite, avait peut-être déclenché la guerre ? Les stèles qui glorifient son règne sont muettes sur ce point, avec une vague référence à la vieille cité de Byblos. Mais il est sûr que Ramsès pénètre dans notre Békaa, et remonte le plateau fertile dans toute sa longueur. Moins d’un mois après avoir quitté sa capitale, le grand souverain égyptien et son armée se heurte à la grande armée hittite venue d’Alep au lieu-dit Qadesh, sur les bords des marais que forme l’Oronte avant de s’enfoncer vers le Nord. Les Hittites campent sur ce lieu depuis plusieurs jours sans que les éclaireurs égyptiens n’en informent l’armée du Pharaon surprise en marche désorganisée. Pourtant les armées des deux empires s’y sont déjà livré bataille sous Thoutmosis III et Séthi I.
Qadesh prend son nom d’un sanctuaire dédié à la déesse de la Beauté qui porte le même nom, sur une colline de 540 mètres d’altitude que l’on appelle Tell el Nabi Mend, à 15 kilomètres au N/E de la frontière libanaise actuelle, et moins de 30 à 35 kilomètres au S/O de l’agglomération antique d’Emèse, aujourd’hui HOMS. Dans cette stratégique « trouée de Homs » qui permet historiquement de relier le grand axe syrien à la côte (Tripoli auj.) en évitant les sommets de l’anti Liban, Qadesh , sur la rive occidentale de l’Oronte, mais aussi l’antique Damas au débouché qui sera Antioche, est à quelques pas de Qoussaïr, grosse bourgade qui est de nos jours l’enjeu d’affrontements sanglants depuis 2012.
Les écrits pharaoniques retrouvés à Louxor racontent que Qadesh, première bataille de l’Histoire documentée par des sources antiques, fut une victoire égyptienne, alors que la bataille manqua d’être remportée par les Hittites, et qu’un désastre égyptien fut évité de fort peu. Elle se termina sans vainqueur décisif. Plus de 20 mille hommes de chaque côté y prirent part, les Hittites jouissant d’une nette supériorité numérique. Ce fut la plus grande (et peut-être la dernière) grande bataille historique qui mit en scène les chariots de combat, dont le nombre monte jusqu’à 2 mille d’un côté et 2,5 à 3,7 mille de l’autre. Car les chariots à deux roues, bien que rapides, mais fragiles et instables, seront plus tard abandonnés au profit de la cavalerie. Bataille indécise, jouée autour du bois de Laboué (« la lionne ») qui ne régla rien, et l’on doit attendre 1258 av JC pour que Ramsès II et le Hittite Hattousili III signent le traité de paix final de leur longue guerre. Ramsès peut retourner en Egypte, continuer son œuvre gigantesque de bâtisseur dans le Delta oriental du superbe Nil. La 19e dynastie perdure, Ramsès jouit d’un règne de 64 ans de long et la belle civilisation égyptienne continue de fleurir pour des siècles.
Un millénaire passe et le Liban voit surgir sur son sol le premier des Grands Conquérants, l’inégalable Alexandre de Macédoine. Nous sommes en 332 avant JC, le héros va passer plusieurs mois au Liban dont 3 pendant le célèbre siège de Tyr, dont vous trouverez une version longue dans un article de ce même site qui lui est consacré. A tous les détails contenus dans ledit texte, ajoutons ici que pendant ce siège ardu, Alexandre le Grand traversera le sud de notre pays d’ouest en est lorsqu’il ira de Tyr gravir les pentes du Mont Hermon (l’ancien Ba’al Gad et Ba’al Harmoun) et sacrifier aux divinités dans les temples qui en entouraient le sommet majestueux, à partir de Banias, (Paneas en grec), d’où jaillit une source abondante et puissante qui alimente le fleuve du Jourdain. Il sillonnera aussi le sud du Mont-Liban pendant que ces troupes et les esclaves capturés pendant les victoires précédentes abattent des milliers d’arbres nécessaires à la construction de la digue d’assaut contre Tyr.
Donc, deux empereurs en mille ans, au Liban, et quels empereurs !
Il va falloir attendre cinq siècles pour que l’on enregistre le nom d’un autre empereur, romain celui-là, lié étroitement à notre pays. Il s’agit d’Alexandre-Sévère, né à Arqa au Liban Nord le 1e octobre 208 et intronisé empereur à Rome en 222 lorsque son cousin, Héliogabale y est assassiné. Héliogabale, ou Elagabal, est né lui, non loin, à Homs dans la famille des Sévères. A la mort de Septime Sévère, sa belle-sœur Julia Maesa a réussi à convaincre les légions d’opter pour son petit-fils syrien comme Imperator. Dominé au début par les femmes dont Julia Maesa et Julia Domna, Héliogabale a importé à Rome son culte local de la pierre noire, autour de laquelle il est rapporté qu’il dansait, nu, dans des transes peu digne de l’homme le plus puissant de l’univers. Lassés par les actes enfantins de ce déséquilibré, les prétoriens l’ont tué puis élu par acclamation le jeune Alexandre, 14 ans (!!!) que sa mère, Julia Mammea, s’apprête à régenter. Julia Maesa, forte femme, et impératrice-consort en quelque sorte, meurt un an après et Alexandre Sévère continue son imperium dans des conditions précaires. L’adolescent est falot, faible et influençable. Il revient en Orient en 231, se met à la tête d’une armée romaine qui s’enfonce en Mésopotamie pour affronter les PERSES, (ou Parthes) éternels ennemis de Rome, après que ceux-ci aient pillé le nord de la Syrie et la Cappadoce anatolienne. La campagne tourna court et Alexandre Sévère, replié sur Antioche, dut « acheter »la paix.
Né au Liban alors qu’il n’était qu’un vague cousin d’un empereur puissant, adopté par Héliogabale quelques semaines avant la fin tragique de ce dernier, Alexandre Sévère, né Julius Gessius Bassianus Alexianus, mourra assassiné par les gardes prétoriens, dans un camp militaire en Germanie. Avec lui, on supprime par l’épée sa mère et tous ses proches. La dynastie des Sévère s’achève, c’est l’heure d’une brute, un géant, Maximin, dit le Thrace, qui s’autoproclame empereur, à l’aube d’une longue époque d’incertitudes pour Rome.
CLÉOPÂTRE
Mais entretemps, le littoral libanais a accueilli à la fin de l’Antiquité, la femme la plus extraordinaire qui ait régné en Orient. Il s’agit de Cléopâtre VII, reine d’Egypte, de la dynastie hellénistique Lagide qui domine l’Egypte depuis la mort prématurée d’Alexandre le Grand. Un nombre des femmes de cette famille des Ptolémée a passé par chez nous, au gré de leurs mariages avec les souverains séleucides de Syrie, ou de leurs exils, ou même lorsqu’elles recevaient l’île de Chypre en apanage sous le contrôle du pouvoir central basé à Alexandrie. Mais ici, nous parlons de cette même Cléopâtre dont l’habileté politique, les pouvoirs féminins de séduction et la fin spectaculaire ont offert matière abondante aux chroniqueurs, historiens et romanciers depuis 2 mille ans. La belle Cléopâtre, si elle a longé souvent nos côtes en allant par voie de mer à Rome retrouver son « divin »amant Jules César, ou bien en emmenant sa flotte à maintes reprises vers Tarse, Antioche, la Grèce ou ailleurs, n’a probablement jamais résidé dans une des villes de la province romaine de Syrie conquise par Rome sous Pompée. Mais, en 37 avant JC., Cléopâtre est alliée au romain le plus puissant d’Orient, Marc-Antoine, qui, lieutenant téméraire et fidèle de Jules César, a vengé l’assassinat de ce dernier en traquant et vainquant la plupart des conspirateurs des « Ides de Mars ».Puis il s’est imposé comme un militaire rompu à la vie des camps et des luttes, et, depuis 7 ans, il est l’un des deux romains qui dominent la vie politique et militaire de l’Urbs. Car le triumvirat qu’ont formé Marc-Antoine, Octave et Lépide pour gouverner les immenses territoires que la République romaine contrôle, n’a pas épargné au monde romain une lutte, au début sourde et politique, ensuite franche et violente entre les deux ambitieux, le frêle Octave, petit-neveu de César, peu respecté comme chef militaire, mais rusé manœuvrier, et Marc-Antoine, flamboyant, généreux, brave jusqu’à l’inconscience. Première division du monde romain : A Octave (le futur Auguste et empereur) l’Occident du monde romain, à Antoine l’Orient. Antoine, comme César avant lui, est tombé sous le charme épicé de cette « petite reine orientale », et leur passion les a tous deux entraînés dans une vie pleine de tumulte politique et privé, avec une débauche de voyages et de luxe effréné qui a fait dire que ce couple a mené « Une Vie INIMITABLE ». De plus ils ont contracté une alliance politique et militaire, qui fournit à Octave à Rome grande matière à attiser le Sénat et la classe dirigeante contre son rival accusé de se « soumettre » à une reine à l’orientale et donc d’abaisser la grandeur de Rome.
Afin de faire taire ses détracteurs et prouver ses talents de meneur et de stratège, ou bien pour protéger les frontières fluctuantes entre Rome et les Parthes, Marc Antoine s’est lancé en 37-36 av.JC dans une expédition militaire vers l’Est contre la Médie, à la tête d’une immense armée de plus de 50 à 60 mille légionnaires, accompagnés d’autant d’hommes chargés du ravitaillement, du transport de matériel, soit au total 100 mille hommes, du jamais vu jusque-là. De longs mois, toute la Syrie romaine, Liban actuel inclus, a résonné du bruit des préparations romaines, chariots, bêtes de trait, armes lourdes à monter, taxes à lever etc. Pour atteindre la province de l’Atropatène, vassale des Parthes, Marc-Antoine veut éviter le désert de Syrie et choisit une très longue route nordique en Arc, qui, de Zeugma d’Antioche prend son armée vers l’actuelle Erzeroum, ensuite vers l’est Artaxata, aux bords de l’Arménie, le lac Urmia, avant de s’infléchir vers le Sud et les frontières du plateau persan. Pour passer le grand massif de l’Ararat, Antoine divise son armée en deux. L’a-t-il fait pour s’assurer l’aide militaire du roi d’Arménie, Artavasdes II ? Il n’en reste pas moins que le souverain arménien abandonna Antoine au premier engagement avec l’ennemi et s’en retourna chez lui. De trahisons en sièges mal embouchés, l’équipée tourna court, et Antoine et ses légions effectuèrent un repli en choisissant (encore !) une route de retour encore plus au Nord qui va les prendre dans les neiges d’Arménie, où les souffrances du froid et de la faim, et les désertions vont coûter aux romains au moins 1/3 de la plus magnifique armée jamais rassemblée par eux en Orient. Antoine s’est méfié des attaques de flanc des Parthes, et des conditions dures du désert de Mésopotamie et de Syrie, il leur a préféré les contrées vertes septentrionales. Mais la (bien) plus longue marche, les trahisons des alliés et surtout les neiges d’Arménie d’un hiver précoce et rigoureux, couplés à la faim et aux désertions, coûtent très cher aux légionnaires romains.
Les nouvelles de ce désastre ont filtré vers Alexandrie ou Cléopâtre décide de voler au secours de son amant. L’Egypte est riche, la souveraine y est solidement respectée, elle rassemble très vite des montagnes d’habits et de provisions, ainsi que de l’Or et prend personnellement la tête d’une flotte qui accoste sur la côte libanaise pour y attendre Antoine. Il faut à tout prix renflouer son allié, avant que les effets de sa défaite ne suscitent des désordres ou des rébellions qui mettraient en danger l’emprise romaine et ptolémaïque sur tout le Proche-Orient. Ne pas vaincre les Parthes au loin sur les hauts plateaux est une chose, mais laisser le pouvoir de l’alliance se détricoter dans le bassin méditerranéen en est une autre !
Cléopâtre et sa flotte évitent les grands ports où la force armée embarquée sur les navires égyptiens n’est peut-être pas assez conséquente pour repousser une éventuelle rébellion populaire. Ces phéniciens sont si prompts à se révolter et profiter de changements autour d’eux ! Aussi elle choisit d’ancrer entre Berytus et Sidon, devant une petite bourgade paisible qui s’enroule autour d’une anse tournée vers le nord, à l’abri des courants majoritairement S/O de la Méditerranée. L’endroit sur lequel on sait peu de choses est cité comme « Leukon Kome » par la chronique hellénistique. Leukon , en grec = lait blanc ; Kome = village ! Soit le village blanc. C’est très peu pour localiser les maisons où Cléopâtre a passé plusieurs semaines avant l’arrivée des légions romaines épuisées. N’a-t-on pas baptisé notre pays du nom de Liban, tiré de Laban, le blanc liquide qui symbolise la neige qui couronne nos cimes ? Ou bien nos contrées, encore hellénisantes depuis Alexandre le Grand, n’ont-elles pas parfois adopté l’enduit à la chaux blanche dans les maisons proches de la mer, à la manière grecque, pour amoindrir les effets du grand soleil méditerranéen ? Les historiens ne nous ont pas fourni des éléments pour notre curiosité, mais nous pouvons nous hasarder à désigner la demi-lune côtière entre Jiyeh et Damour comme le seul relief entre Beyrouth et Saida pouvant recevoir une flotte lourdement chargée, ancrée à l’abri des méfaits de la mer. Va donc pour Damour, ses collines ombragées alors chargées de pins et de chênes, son torrent alimenté en eau pure venue des montagnes du Barouq, et sa plaine côtière bien fertile. Damour peut-être, où la belle Cléopâtre va résider de longues semaines avant que ne la rejoigne son héros malheureux, entouré des restes d’une armée démoralisée et surtout épuisée.
Cette attente sur la côte d’une reine énergique, qui tente d’insuffler à son homme défait et moralement abattu du courage et du caractère, préfigure étrangement celle qui aura lieu six ans plus tard lors de l’ultime chapitre du roman des deux amants, celui de la fin tragique à Alexandrie.
Les deux amants repartent vite pour Alexandrie après que Marc-Antoine eut diffusé les ordres pour verrouiller le dispositif romain, depuis Antioche jusqu’à Tyr, en passant par Emèse, Damas etc. Antoine et Cléopâtre vont régner sept ans de plus en Orient jusqu’à l’épilogue terrible de leur déroute navale à Actium puis à Alexandrie, lorsque leur défaite puis leur fin mythique laisseront Octave Auguste seul maître du monde, et premier empereur de Rome en nom, titre comme en pouvoir. Mais ceci est une autre histoire.
PLINE L’ANCIEN
Le « visiteur »suivant de notre côte fut le romain Pline l’Ancien, qui fit le tour de la Méditerranée afin d’y effectuer des relevés géographiques stratégiques pour l’empire.
Pline, de son nom complet Gaius Plinius Secundus, fut un lettré romain du 1e siècle AD, qui, en temps qu’Amiral de la flotte impériale, sillonna la Méditerranée, et laissa une monumentale encyclopédie (« l’Histoire Naturelle »). Né sur les bords enchanteurs du lac de Côme, dans le Nord de l’Italie et aux pieds des Alpes, ce penseur se caractérisa par une curiosité intellectuelle et un enthousiasme permanent, enthousiasme et générosité d’action qui lui valurent de périr pendant la fameuse éruption du Vésuve en 79 AD, pendant qu’il tentait de secourir les habitants de Pompéi et Herculanum. Lors d’une carrière publique bien remplie, et après avoir été Procurateur en Espagne, Pline devint Amiral de la grande flotte romaine et sillonna les mers. Archiviste et « enregistreur « ou observateur plutôt que scientifique, il écrivit un ouvrage fleuve de 37 volumes intitulé « Naturalis Historia », dans lequel, il décrivit par exemple avec précision et admiration les trois grands caps qui tranchent le beau littoral libanais, Chekka la bien-nommée, celui de Nahr el Kalb (le Lycus des Anciens) et enfin le « promontorium album »ou Cap Blanc à Naqoura qui sépare la plaine de Tyr de celle de Galilée. Pour lui, il s’agissait de reliefs uniques (et rapprochés) en Méditerranée Orientale.
Pline avait-il découvert dans sa jeunesse nos régions comme ami et compagnon de Vespasien, futur empereur, lors des terribles guerres Juives du 1e siècle ? Toujours est-il qu’il prêta une attention particulière à notre côte et qu’il nous en a laissé des textes importants sur ses ports et sa géographie.
On ne sait pas grand-chose quant au Liban pour les empereurs romains qui vinrent au Proche-Orient au début de notre ère, mais il est fort probable que Vespasien et Titus, lors des guerres juives, aient visité notre pays, surtout la plaine fertile de la Békaa où le monde romain pouvait compter sur une production de céréales capable de nourrir de un à trois millions d’individus, ce qui justifie largement les efforts titanesques ainsi que les sommes colossales engouffrés dans les majestueux temples de Baalbek. Vespasien a visité le nord de la Galilée, y inclus Césarée de Philippe et Paneas (voir plus cf. Alexandre le Grand) mais a-t-il pénétré sur notre actuel territoire ? Trajan, qui appartint à la dynastie dite des « Antonins », vint à Baalbek en 114 AD. consulter l’oracle du grand temple. Il semble qu’on ait répondu à sa question ultime en lui prédisant qu’il ne reviendrait plus à Rome à l’issue de sa campagne en Orient.On y signale aussi la visite d’Hadrien, cet empereur adonné aux lettres et aux arts, en 130 AD, lors de son dernier grand voyage. Une chose est sûre, c’est que l’homme qui contribuera magistralement à répandre le christianisme dans l’empire romain, et en modifier toute l’histoire, Saint Paul (de Tarse), s’arrêta quelques jours à Sidon avant d’embarquer pour l’Italie où il périra en 64 AD., martyr de la brûlante foi qu’il excella à répandre.
LA CONQUÊTE MUSULMANE
Au 7e siècle, un nouveau chapitre s’ouvre lorsque surgissent du fond du désert arabique des guerriers demi-nus qui vont, sous la bannière du Prophète Mahomet, conquérir des pays innombrables en moins d’un siècle. Pour nous, ce sera l’An 636 AD. qui marquera la déroute des Byzantins et notre rattachement au « Dar el Islam ». Et l’homme qui mena les troupes musulmanes pendant la conquête de la Syrie et de notre côte fut un dénommé Abou Obeida ibn al Jarrah (vers 581-639), un des dix premiers Compagnons de Mohammad à qui ce dernier promit sans réserve le Paradis ! Abou Obeida, de grande taille et doté d’une silhouette élancée pour un bédouin, se fit remarquer du Prophète à la bataille de Badr en Arabie, en tuant son propre père al Jarrah qui se battait dans les rangs des adversaires de Mahomet. Il combattit aussi à Ohod où il extrait avec ses incisives les deux anneaux d’une cuirasse enfoncés dans la joue de Mahomet, lequel, reconnaissant, lui conféra le surnom de « Amine ». Ensuite, il est envoyé à Najran pour convertir les Yéménites. Général, commandant les troupes du Calife, entouré d’autres militaires renommés comme Khaled, Yazid, Amr, Zarrar, etc. Abou Obeida remporta en août 636 la bataille de Yarmouk, en Syrie du Sud, sur le plateau du Golan, qui mit en déroute la dernière armée byzantine capable encore de s’opposer au déferlement arabe. Puis, en commandant suprême, Abou Obeida conquit la Syrie du Nord (Homs, Alep, Antioche), avant de succomber à la peste à peine 3 ans après ses grands succès militaires. Mais l’Histoire ne précise pas où et quand le général triomphant visita les ports qui churent sans coup férir dans l’escarcelle du nouvel empire arabe. Par contre, il vint à Baalbek, ville prospère et stratégique, juste après la victoire du Yarmouk et fut peut-être l’un des premiers militaires arabes qui dénaturèrent le site des grands temples en le fortifiant, d’où le nom local de « Qal’aa » toujours en usage pour désigner l’acropole. Fortifications qui continuèrent de se greffer sur le merveilleux site romain jusqu’à l’époque des Croisades.
La première grande dynastie arabe, les Omeyyades, choisira Damas comme siège de son pouvoir, Damas l’oasis mythique, Damas la plus vieille ville du monde (??) que le Calife avait donné à la famille d’Abou Sofian, son ancien ennemi à gouverner dès 636. Moawiya succédant à son frère Yazid en 638 ou 640, sous le califat d’’ Omar ibn al Khattab, va structurer son pouvoir et réussir si pleinement à contrôler et enrichir la Syrie historique, qu’elle deviendra la base solide de l’empire musulman en expansion continue. Le Calife Omeyyade Walid (ibn Abdel Malak), vers 710 AD, fit d’un ancien camp romain (ou petite bourgade byzantine), Anjar, une ville-oasis jouira des faveurs de deux membres de la dynastie, mais périclitera en moins de 30 ans. Située de l’autre côté des cimes de l’Anti-Liban par rapport à la grande Damas, elle fut en 744 AD le site d’une bataille de succession entre deux cousins omeyyades, Ibrahim et Marwan II.
L’EMPEREUR BYZANTIN JEAN TZIMIZCÈS
Plus le centre géopolitique du pouvoir musulman se recentre vers l’Est, vers Damas, Alep puis Bagdad, et plus la côte ex-phénicienne périclite, laissant seul la place forte de Baalbek émerger comme digne d’intérêt dans les luttes internes qui secouent constamment la Syrie. Quant au voisin chrétien byzantin du Nord, son empire ne cesse de se réduire en peau de chagrin, avec de rares sursauts victorieux, comme celui qui voit au 10e siècle Nicéphore II Phocas reprendre la Cilicie et arriver jusqu’à Beyrouth. Son neveu, Jean Tzimizcès reprend l’assaut sur les Abbassides, et reconquiert Antioche, Alep, Damas, poussant même jusqu’à Baalbek qu’il ravage en 975 afin de la punir de lui avoir résisté. Il mène son armée jusqu’à Beyrouth et même Nazareth en Palestine. Beau et bien bâti, Tzimitzès est devenu l’amant de la superbe impératrice Théophano, épouse de son oncle et empereur, et déjà veuve auparavant de Romain II. En 969, cette mangeuse de souverains à la beauté éclatante pousse Jean à assassiner Nicéphore pour se faire couronner « Basileus » (Roi et empereur). Le crime, et le coup d’Etat, sont accomplis sans heurts. Mais son désir de rester sur le trône auprès d’un 3e époux royal est frustré lorsque Jean se rétracte, se réfugiant derrière le besoin de ménager la puissante Eglise orthodoxe qui crie fort au scandale d’un 3e hymen pour une femme dans une Byzance historiquement rigide dans ses normes et dogmes… Le patriarche Polyeuktos, de facto codétenteur du pouvoir dans l’empire, mène la charge avec violence et refuse de marier les amants complices aux mains tachées de sang. Theophano sera exilée dans une île avec ses filles, où on l’oubliera au fond d’un sombre couvent, comme tant d’autres impératrices veuves ou déchues. Jean règnera fermement sur le monde byzantin jusqu’en 976 lorsqu’une étrange maladie (poison ?) l’emporte en quelques jours.
Tel est donc le dernier empereur romain (d’Orient) que le Liban reçut en stratège triomphant, un homme robuste à la beauté virile qui mélangea adultère, crime et bravoure à l’image du Moyen-Âge brutal et contrasté où il vécut.