Personnages Historiques ayant foulé le sol du Liban

SALADIN

Durant les deux siècles des Croisades, le va-et-vient militaire est continu au Proche-Orient, et il serait fastidieux de citer tous les protagonistes d’une époque troublée. Arrêtons-nous seulement aux figures les plus connues tant dans le camp chrétien que dans le camp musulman et commençons par Salah ed-dine Youssef ibn Najm-ed-dine al Ayyoubi, que les Croisés ont rendu célèbre sous le nom de Saladin. L’homme qui va renverser le cours des choses et vaincre tant de fois les rois et chevaliers européens en Terre Sainte, ce kurde de Tikrit, cet usurpateur du pouvoir en Egypte dont les chroniqueurs francs chanteront les vertus de maîtrise de soi et de magnanimité, cet infatigable guerrier qui saura esquiver les combats stériles pour mieux vaincre lorsque les circonstances lui donnent plus d’atouts pour ce faire, bref le légendaire Saladin a joué enfant pendant des années , entre 1139 et 1146, à Baalbek, alors que son père tient la place forte pour le compte de Noureddine al Zengi, atabeg de Mossoul et Emir d’Alep. Sa destinée va le conduire à Damas, à Alep, au Caire où Saladin devient l’homme fort de la région. Avec une petite armée, il entreprend en 1174 de conquérir les possessions des héritiers de Noureddine en Syrie, et réussit pleinement, à Bosra, Damas, Alep, Hama, Homs, puis Baalbeck. Nous sommes en Mars 1175, Saladin se plaît dans la plaine, il s’y adonne à son exercice favori, la chasse, et il ne quitte la Békaa qu’en Mai 1175, laissant l’émir Ibn al Mouqaddam gouverner les lieux pour lui. Lorsque ce dernier se rebelle, Saladin revient et assiège Baalbek en 1178, pousse jusqu’à Beyrouth l’été de 1179 où il se contente de piller les environs. Trois ans plus tard, il s’estime assez fort pour assiéger Beyrouth mais la résistance des Croisés le contraint à plier bagages (Eté 1182). Saladin va enregistrer une belle victoire sur ses adversaires occidentaux aux Cornes de Hattin en 1187, au pied du Hermon, et en profite pour avancer sur notre côte, contournant Tyr trop bien fortifiée par les Croisés, pour enlever au royaume de Jérusalem Sarafand, Sidon (tombée sans combat le 29 juillet), assiège et prend Beyrouth (le 6 août) et même Jbeil. L’Emir qui a unifié tout le Proche-Orient musulman et redonné au Caire et à Damas leur prestige de grandes places politiques, choisit encore Beyrouth en octobre 1192 pour y recevoir Bohémond d’Antioche qui se maintient toujours au nord des territoires de Saladin.

Les Rois Croisés : Richard Cœur de Lion, Saint Louis, Philippe Auguste

De tous les souverains et barons qui ont entrepris pendant plus de deux siècles la grande aventure des Croisades, citons le légendaire Richard Cœur de Lion, qui entreprit la 3e croisade en 1190, et, ayant arraché l’île de Chypre aux byzantins, mit voile vers Acre récemment tombée aux mains de Saladin, et que les Croisés assiégeaient en nombre. Le 8 juin 1191, depuis Baniyas jusqu’à Naqoura, les habitants de notre côte voient défiler la flotte croisée du roi anglais, composée de 20 ou même de 100 vaisseaux. Venue de Chypre, la flotte va défiler pendant trois jours au large, en se signalant aux habitants des villes côtières musulmanes par un déploiement chamarré de bannières et en faisant du bruit, beaucoup de bruit, avec les olifants et grands cors, comme l’a ordonné Richard. Saint-Jean d’Acre capitule le 12 juillet 1191, et l’allié de Richard, mais son rival méfiant ici comme en Normandie, Philippe Auguste, roi de France, quitte la Terre Sainte pour retourner bien vite dans son royaume européen. Le souverain capétien séjourne 3 jours à Tyr, restée inexpugnable base du royaume bien rétréci de Jérusalem, puis s’embarque pour son pays. Treize ans plus tard, en remportant la bataille de Bouvines dans les plaines de Flandre, Philippe va solidement établir son royaume comme LA puissance de l’Ouest européen face à l’empereur germanique et ses nombreux alliés. Quant à Richard, ce belliqueux colosse que les romanciers du 19e siècle ont choisi comme héros de leurs écrits, il va poursuivre le combat contre Saladin, le battant de justesse à Arsouf, mais souscrivant ultimement à un pacte bâclé avec son grand adversaire qui laisse Jérusalem et une bonne partie de la Syrie aux mains de l’ayyoubide.

Puis, bien sûr, le Liban, tout comme le reste de la Terre Sainte, reçoit le Roi de France, Louis IX, connu depuis comme Saint Louis.Celui qui fut roi dès l’âge de douze ans, et qui a mené sa croisade (la 7e pour la chronologie historique ) à la suite d’un vœu formulé pendant une maladie grave, a à maintes reprises pénétré au Liban, et séjourné à Tyr et Saïda, et c’est à Saida (Sidon pour les Francs) qu’il apprend en 1253 le décès de sa vertueuse mère, la fameuse Blanche de Castille connue pour sa bonne gestion du royaume capétien en tant que Régente. Saïda où Saint Louis a mené des travaux de renforcement ; et Tyr d’où il embarque pour son retour en Occident. Revenu en terre musulmane, mais non au Proche Orient, Saint Louis mourra du typhus pendant la 8e Croisade devant Tunis en Afrique du Nord.

Les musulmans n’ont chassé les Croisés de nos contrées que pour plier à leur tour devant l’irrésistible déferlement des Mongols de Gengis Khan, à peine un siècle plus tard. C’est Houlagou, le neveu du Grand Khan qui est délégué par son frère aîné Mongka pour subjuguer l’Iran, la Mésopotamie, et qui, sur son passage, annihile la fameuse secte des Haschachin (les « Assassins ») à Alamout en 1256, ravage Bagdad en février 1258, mettant définitivement fin au califat fantoche abbasside depuis longtemps tombé sous le joug de militaires turcs, et atteint Alep et Damas en mars. Les massacres et les prises d’esclaves se succèdent, et ne sont interrompus que par le départ précipité de Houlagou vers l’Est (Tabriz), lorsqu‘il apprend la mort prématurée de Mongka, ce qui le place dans une position intéressante de successeur à la tête du plus grand empire que le monde ait connu. Il emmène avec lui sa grande armée (120 mille guerriers ?) ne laissant que moins de 10 à 15 mille hommes à son lieutenant, Ketbogha (ou Qatbouka) pour maintenir la domination mongole au Proche-Orient. Ketbogha, parti de Baalbek, dont les Mongols ont fait une base militaire centrale, pille Sidon le 17 août 1260, puis est vaincu et décapité par le Mamelouk Qoutouz et le futur Sultan Baybars à Ain Jalout, en plaine de Nazareth, le 3 septembre suivant. Du raid gigantesque et sanglant qu’ont mené les Mongols chez nous, il ne subsiste bien vite plus rien que ruines fumantes et populations appauvries et décimées.

TAMERLAN

Mais notre pays n’en a pas fini avec les Turco-mongols, qui réapparaissent en Syrie et au Liban au début du 15e siècle, lorsque le « Grand Emir » de Transoxiane, Tamerlan surgit de l’Est avec des troupes aguerries. Tamerlan, c.à.d. Timour-Lenk , « l’homme de fer boiteux », qui, encore plus que les Mongols, laisse dans son sillage des monceaux de crânes décapités, de villes pillées et incendiées, de punitions de masse et de populations réduites en esclavage et traînées derrière l’armée conquérante. Pourtant, chez nous, Tamerlan sera inhabituellement magnanime avec les minorités, druzes ou chrétiennes. Vainqueur à Alep le 30 octobre 1400, il s’en vient camper à Baalbek où il visite avec curiosité les ruines romaines imposantes dont on lui a tant parlé. De Baalbek, il monte à la forêt millénaire des Cèdres, sur la chaîne occidentale du Liban, puis visite les moines maronites à Qannoubine, lesquels célèbrent une messe à laquelle assiste en personne le terrible conquérant ! La chronique voudrait que le terrible Tamerlan ait déféré aux souhaits des druzes de la montagne qui sont restés positivement neutres devant sa conquête, et qui protégeaient alors les petits couvents chrétiens libanais et leurs 200 moines. Ses cavaliers razzient les environs de Saïda et Beyrouth, et Tamerlan pousse jusqu’aux fontaines d’eau douce dites « réservoir de Salomon » (notre Ras-el-Aïn) dans la plaine de Tyr. De là, il repart vers Damas, non sans effectuer un séjour à Anjar, cet oasis enfoui au pied de l’Anti-Liban.

Deux ans plus tard, le 28 juillet 1402, Tamerlan remportera sur le Sultan ottoman Bayezid (surnommé Yildirim = la Foudre ; le Bajazet des européens) une victoire retentissante à Ancyre (Ankara auj.), en Anatolie, après une bataille qui a peut-être mis face à face des centaines de milliers de combattants, affrontement gigantesque qui se terminera par la capture et l’humiliation de Bayazid>. Ancyre sauvera très provisoirement Constantinople byzantine des griffes turques et retardera d’un siècle l’établissement de la puissance des Ottomans en Syrie et au Liban.

BONAPARTE

Sautons plusieurs siècles pendant lesquels l’Orient dort d’un sommeil profond qui ralentit tout essor humain et économique, et où la tradition et la religion sclérosée remplacent l’imagination et l’invention et arrivons à cet unique moment de 1798, lorsque celui qui est encore seulement et complètement un fils de la grande Révolution française emmène une armée auréolée de la gloire de sa campagne d’Italie, et s’en vient mettre un coup de pied magistral en Egypte et en Syrie. En ébranlant le pouvoir des Mamelouks et des Pachas à la turque, un jeune général de 28 ans va en moins de 15 mois réveiller ce marais stagnant et le transformer radicalement. Je parle bien évidemment de Bonaparte que son infatigable énergie a poussé à venir sur le Nil chercher des voies nouvelles pour son ambition insatiable. Et même si le futur empereur a échoué devant les murs de Saint Jean d’Acre, même si l’amiral Nelson a détruit toute la flotte française dès les premières semaines de la formidable campagne d’Egypte, même si il n’a pu rallier des princes à son assaut sur le joug ottoman, même si il n’a pas physiquement mis les pieds au Liban, le souffle de celui que Hegel qualifiera « d’esprit du monde » a bien atteint notre pays.

En Palestine du nord= 16 Avril 1799, Après la bataille du Mont Thabor, remportée sur les Turcs, et venant d’un bivouac à Safourch, Bonaparte s’arrête près de la fontaine antique de la Vierge, à Nazareth, dans une hostellerie franciscaine dite la Casa-Nova.

Le Mont Thabor, couvert de térébenthine et de cyprès, est le lieu où les évangélistes situent la Transfiguration du Christ. De là, s’il fit l’ascension, le général put voir au loin les monts sombres du Liban et ceux bleutés de Syrie. Dans la nuit du 16 au 17 avril, Bonaparte décide de ne pas marcher sur Damas et de revenir sur Acre. Car les bataillons français qui ont mis en déroute plus de 20 à 35 mille ottomans venus de Damas par le Golan, menés par le Wali Abdallah Pacha ne sont que 4 mille. Presque autant sont restés autour d’Acre assiégée. Cela fait trop peu pour se lancer vers Damas avec des lignes de ravitaillement terrestre trop tendues et l’omniprésence navale britannique en mer. De plus, l’Emir du Liban, Béchir n’a pas clairement pris fait et cause pour Bonaparte, qui manque cruellement d’alliés locaux.

Ceci n’empêche pas le vainqueur de Rivoli et des Pyramides de détacher deux cent hommes avec à leur tête le capitaine Vial (division du général Bon) qui vont, en longeant la côte, arriver jusqu’à Tyr sans coup férir. Parti d’Acre au lever du jour, le 3 avril 1799, Vial mit 11 heures de marche (y inclus des haltes aux fontaines dont l’une à Naqoura même) pour, au terme d’une chevauchée épuisante arriver à destination et faire jonction avec le Cheikh Nassour ibn Nakef (fils de Nakef). Nakef avait été tué en 1793 face aux Arnautes (Arna’out ? Albanais ? ) du Djezzar (Jazzar). Vial laisse en garnison 200 metouallis, qui auraient dû servir de noyau à un soulèvement anti-ottoman guidé par le Cheikh al Daher. Dès que le siège d’Acre est levé, les chiites s’empressent de revendre la cité au pacha turc de Damas, féal de Ahmad Pacha al Djazzar.

Vous me ferez remarquer justement donc que Napoléon n’a pas mis les pieds sur notre sol, mais je ferai valoir que son ombre politique et ses fidèles cavaliers l’ont fait, pour une poignée de journées.

LAMARTINE

Vient donc ce 19e siècle du romantisme, de l’orientalisme, de l’engouement pour l’Egypte antique, tous mouvements enfantés par l’expédition de Bonaparte qui a secoué l’Orient, comme par l’épopée napoléonienne et par la fulgurante explosion des idées nouvelles et libératrices de la Révolution. Les « voyages en Orient »se succèdent depuis Chateaubriand jusqu’à Pierre Loti et Maurice Barrès, en passant par Renan et tant d’autres. Mais je choisis parmi eux Alphonse de Lamartine qui, en écrivant des textes si colorés sur nos montagnes et nos villages, va donner au Liban ses lettres de noblesse littéraire. De Beyrouth à Djoun, puis la vallée de Hammana qu’il immortalise en deux phrases, le poète (et plus tard homme politique français) s’attarde sur des paysages qui l’enchantent. Je vous laisse le plaisir, si ce n’est déjà fait, de savourer ces pages merveilleuses par vous-mêmes, car je ne saurai trouver les mots pour émuler le verbe de Lamartine. Lamartine qui loue un pâté de cinq demeures sur la colline d’Achrafié, « à dix minutes à cheval de la ville de Beyrouth lovée sur un petit périmètre autour de son port. Pour la petite histoire, notez que, en octobre 1832, parti de Beyrouth pour la Terre Sainte, à la tête d’une caravane de 18 chevaux, Lamartine est surpris par la nuit alors que, venant de Tyr, il tente d’atteindre la Galilée. Il campe alors la nuit du 10 octobre sous une tente chez un paysan accueillant dans une toute petite plaine de figuiers et de courges, au pied du Cap blanc, le Ras-el-Abiad, à la limite du Liban et de l’Etat d’Israël. Lamartine ne traîne pas en Terre Sainte, revient vite sur Beyrouth où il a en décembre le malheur de perdre sa jeune enfant, Julia, emportée par une fièvre fulgurante en deux jours.

Lamartine quitte Beyrouth en avril 1833, le vaisseau l’Alceste portant avec son couple la dépouille de sa fille chérie. C’est son séjour sous nos cieux qui a suscité sa transformation de poète renommé en écrivain et historien, car dès son retour en France, il publie sa première prose, le fameux « Voyage en Orient ».

Lamartine en Orient, c’est le temps de Méhémet-Ali (ou Mohammed Ali) dont le pouvoir autoritaire a assis l’Egypte comme puissance régionale, et dont le fils, Ibrahim Pacha a défié et vaincu les ottomans en Syrie et en Anatolie maintes fois. Ibrahim est le premier personnage historique à avoir ressuscité Beyrouth comme port important du Proche-Orient, avant que la politique anglaise ne le force à abandonner la Syrie à un empire ottoman agonisant. C’est encore Beyrouth que le « « Sultan Rouge » ottoman, Abdel-Hamid II, dernier vrai autocrate de la dynastie, choisit pour y faire des aménagements urbains utiles face à l’autonomie du Mont-Liban arrachée à la suite des évènements majeurs de 1860-1861. Car Abdul-Hamid a connu Beyrouth lors de sa jeunesse et y a coulé, dit-il, des jours heureux et insouciants.