Personnages Historiques ayant foulé le sol du Liban
GUILLAUME II
Abdul Hamid sera l’un des grands partisans de l’alliance de la Turquie avec l’Allemagne dominée par les orgueilleux prussiens.
A l’automne 1898, c’est l’empereur d’Allemagne Guillaume II qui effectue un périple de près d’un mois en Orient, donnant le coup d’envoi de la nouvelle alliance entre deux empires, le sien qui ne cesse depuis 1866 de croître en puissance et en appétit, et celui des Ottomans qui n’en finit pas d’agoniser. Alliance qui va coûter si cher à ces derniers à l’épilogue du premier conflit mondial dans moins de vingt ans. Constantinople, Damas, Jérusalem sont les grandes étapes du voyage impérial de Guillaume II, ce souverain affecté qui accorde plus d’attention au décorum qu’aux faits, aux symboles et légendes (mal comprises ?) qu’au jugement politique. Il débarqua à Beyrouth pour prendre de suite le chemin de Damas, et l’on raconte que le clergé maronite demanda à ses ouailles de contrevenir aux recommandations des Turcs d’accueillir l’auguste hôte par des illuminations, et de diminuer l’éclairage de leurs maisons, ou de l’éloigner des fenêtres afin de ne pas froisser les français d’Orient. La France n’est-elle pas lors la protectrice des Chrétiens d’Orient et la Prusse ne lui a-t-elle pas dérobé l’Alsace-Lorraine en 1870-1871 ? Guillaume ne jouit donc pas de la splendide vue de nos baies étincelantes de lumières.
Nous nous devons de retenir de tout ce périple la visite que le « Kaiser »effectua trois semaines plus tard à Baalbek, où les ruines gigantesques l’impressionnèrent tant qu’il y fit démarrer un grand chantier de déblaiement et de remise en valeur, faisant d’un prussien le premier parrain de notre magnifique et premier site touristique libanais. Venu de Damas, où il s’était posé en « protecteur de 300 millions de musulmans » dans le monde, il campe à Baalbek les 10 et 11 novembre 1898, pour finir le lendemain son voyage d’Orient au port de Beyrouth où son yacht personnel l’attend. Il décrira les charmes de notre capitale en des termes gracieux, comparant les villas et jardins des notables beyrouthins à ceux de la Sicile et de l’Italie du sud. Le cortège de l’empereur parcourt la « rue de Damas »où les curieux se pressent par milliers, pour apercevoir Guillaume qui parade, moustache retroussée et cape blanche, au milieu des ovations « encouragées »par les séides du Wali turc. La montagne est autonome depuis 1861, mais Beyrouth ne l’est pas. Guillaume II fait une halte dans le seul palace de la ville, le Grand Hôtel d’Orient (plus tard hôtel Bassoul, en promenade du bord de mer, face au Nord ) pour y prendre une légère collation avant d’embarquer en fin de journée pour l’Europe.
GOURAUD
La Première guerre mondiale a fait voler en éclats l’immense empire ottoman qui a dominé notre pays pendant quatre siècles. Siècles de pauvreté, de rébellions incomplètes et désordonnées, d’Emirats féaux trop durement jetés à terre par les pachas turcs, siècles finalement clos en 1860 par une forme d’autonomie fort originale concédée par Istanbul à nos montagnards turbulents. Mais l’emprise ottomane sur le Liban est définitivement dissoute lorsque la France obtient en 1918-1919 un Mandat pour « guider la Syrie et le Liban »vers la République et l’indépendance. « La mère tutélaire » a depuis Louis XIV tissé des liens avec les chrétiens d’Orient, et les missions religieuses européennes mais surtout françaises ont introduit l’instruction dans les collines et vallées libanaises.
Alors, auréolé de l’extraordinaire et douloureuse victoire française et Alliée dans la Grande Guerre, débarque à Beyrouth un général français qui va, du perron de la « Résidence des Pins », à l’orée de la forêt dite « de Fakhreddine », proclamer le Grand Liban et inscrire pour de bon dans l’Histoire les frontières et la future indépendance de notre pays. Qui ne connaît pas l’imposante photo qui immortalise le 1e septembre 1920 la proclamation par Gouraud de la naissance du Grand Liban ?
Henri Gouraud, pourtant Haut-Commissaire au Levant, dédaigne la plus grande ville de la région, Damas, au profit de Beyrouth, plus cosmopolite et plus avenante pour la nouvelle puissance mandataire. Ce parisien de naissance, catholique fervent issu d’une famille de médecins, et élève des Jésuites, a débuté une longue carrière militaire dans les Colonies (Maurétanie et Maroc), dans les combats de l’Argonne, a participé au gâchis monumental et sanglant de la campagne des Dardanelles, où il perd un bras (le droit) pour revenir fin 1915 sur le grand front français commander la 4e armée en Champagne jusqu’à l’ultime offensive victorieuse de l’été 1918.
A Beyrouth, Gouraud surprend tous les notables locaux par sa simplicité totale et son mode de vie austère. Il hait l’apparat et le faste, adopte un mode de vie austère et choisit de dormir dans une chambre de style monacal ornée en tout et pour tout d’un petit crucifix et d’une photo de sa mère. Gouraud ne se contente pas de gérer le Levant en proconsul, ou en guide d’éveil de la démocratie. Malgré l’opposition farouche des musulmans sunnites à Damas comme à Tripoli, et s’étant sorti indemne d’une embuscade meurtrière sur la route de Damas, il œuvre jour et nuit à organiser avec bienveillance la vie politique en Syrie et au Liban, se rend plusieurs fois à Paris pour agir avec les gouvernements et les pousser à accorder plus d’intérêt à nos deux républiques naissantes. Lorsqu’il quitte Beyrouth pour la France, c’est pour assumer le poste de gouverneur militaire de Paris, au soir d’une carrière exceptionnelle empreinte d’abnégation et d’esprit d’effort continu.
WEYGAND
Lui succède un autre général français, tout aussi travailleur, tout aussi rempli de l’orgueil de l’institution militaire, mais très différent dans l’apparence et le destin. Il s’agit de Maxime Weygand, dont on a écrit qu’il « était né dans l’indifférence, et mort dans l’ingratitude ». A Weygand, né dans des conditions mystérieuses de parents inconnus à Bruxelles en 1867, les historiens ont attribué des géniteurs divers depuis la malheureuse impératrice du Mexique, Charlotte, avec un certain colonel van Smissen, jusqu’à son époux Maximilien de Habsbourg, avec une mexicaine, en passant par le roi de Belgique Léopold II, et j’en passe… Weygand, qui a tout jeune opté pour la France comme patrie, a servi comme chef d’Etat-major de Ferdinand Foch, le généralissime qui a coordonné les armées Alliées en 1918. En organisateur méticuleux derrière le flamboyant Foch, il est donc étroitement associé au prestige de la Victoire. Weygand, nommé en avril 1923 Haut-Commissaire, arrive au port de Beyrouth le 9 mai 1923. Il passera 20 mois chez nous et y déploiera, « au pays de la sieste »une activité diligente et inlassable. Modeste et réservé, il est admiré par les troupes, respecté par ses collaborateurs et redouté par tous pour son intransigeance. De plus, il est rejoint par son épouse à l’automne 1923, qui, aimant recevoir, anime dignement la vie sociale à Beyrouth par ses réceptions fréquentes et ses visites aux familles notables de la ville. Le général Weygand est séduit par la beauté du Liban et il l’écrit souvent dans un style où il n’est pas avare de lyrisme. Il a rétabli l’ordre, et assuré la stabilité tout en s’intéressant au démarrage des affaires économiques. Surtout, Weygand est un administrateur qui aurait pu apporter beaucoup à notre pays, et au fameux « statut organique » si on lui en avait donné le temps. Mais il est rappelé en France en décembre 1924 par le gouvernement d’Edouard Herriot, qui veut lui substituer le général Sarrail, radical de gauche comme ses patrons politiques. Sauf que les maladresses de Sarrail, son anticléricalisme tapageur et son caractère hautain détruisent de grands pans de l’image positive bâtie par ses prestigieux prédécesseurs au Levant. En dix mois, Sarrail se met à dos les amis comme les adversaires de la France et est relevé de ses hautes fonctions.
Il n’y aura plus au Levant de Haut-Commissaire dont la place dans l’Histoire peut s’apparenter aux deux figures de Gouraud et de Weygand. Sauf que Weygand reviendra à Beyrouth au tout début du 2e conflit mondial, fin août 1939, comme commandant en chef du théâtre d’opérations en Méditerranée orientale. Il sillonne la Syrie pour y renforcer le dispositif militaire, emmène l’écrivain Pierre Benoît visiter l’énigmatique Palmyre, et fait jouer la prestigieuse troupe de la Comédie française à Beyrouth et Damas (7 et 8 avril 1940). En France, c’est le désastre : L’offensive de la Wehrmacht du 10 mai par un couloir des Ardennes est décisif, et l’effondrement de l’Armée française une question de jours. Devant l’impensable, on panique à Paris, on va chercher au Levant Weygand pour venir sauver une situation tragique. Le samedi 18 mai 1940, à 7h 25 du soir, le nouveau « Généralissime » Allié s’envole de Beyrouth pour rallier Paris, où il ne pourra endiguer le flot de la Blitzkrieg. Croyant sauver l’honneur de l’armée, Weygand se range en juin dans le camp des demandeurs d’armistice. Caractère incommode et discours péremptoire n’aideront pas Weygand entre fin 1940 et 1942, l’amenant à se mettre à mal successivement avec Reynaud, Pétain, les Allemands et ensuite les gaullistes d’Afrique du Nord. Weygand mourra à Paris à l’âge de 98 ans, et de Gaulle, toujours intraitable avec les acteurs des heures confuses de juin 1940, refusera qu’on lui organise des funérailles nationales.
DE GAULLE
Car, en 1965, Charles de Gaulle a accompli son extraordinaire destin et est devenu Président de la République, la 5e du genre, celle qui stabilise la France et lui redonne une grandeur fourvoyée dans les années 50. Et De Gaulle, c’est notre dernier visiteur de marque, notre dernier sujet pour clore cette galerie longue de 4 millénaires. Là, je ne m’attarderai pas sur les séjours de celui qu’on surnomma « le Connétable », au début par dérision, ensuite par fascination pour sa stature tant physique que morale. Ce visionnaire, ce résistant farouche, qui sera encore plus grand comme Chef de l’Etat qu’il ne l’avait été comme adversaire de l’Allemagne hitlérienne et de la France vichyste, est si populaire au Liban que tous les détails de ses passages sont largement couverts depuis des décennies. Rappelons brièvement qu’encore muni du grade de commandant, affecté au 4e Bureau (Liaisons et communications) de Gaulle réside à Beyrouth, quartier de Mousseitbé (locataire chez Elie Wehbé, rue Tadmor) entre novembre 1929 et novembre 1931. Sa famille y vit avec lui, y inclus la petite Anne, dont l’état de santé … Lorsque De Gaulle s’occupe d’Anne, il est tout douceur et bonté, bien loin de la raideur et de l’orgueil …
Il y revient en Chef de la France libre le vendredi 25 juillet 1941, via Le Caire et Jérusalem, pour continuer la présence mandataire en Syrie et au Liban, mais sous l’ombre pesante du grand Allié britannique, dont les troupes ont chassé les vichystes. Reçu à Damour par son fidèle général Catroux, il se rend au (Grand) Sérail du centre de Beyrouth pour les cérémonies officielles, puis à la Résidence des Pins, en bordure de l’Hippodrome et de la forêt séculaire pour y séjourner. C’est ensuite la visite à Damas le 28 juillet. Dans sa sourde lutte perpétuelle pour empêcher les anglais de rogner sur ce qu’il considère être l’apanage de la France, De Gaulle reste chez nous jusqu’au 20 août, visitant Homs, Hama, Alep, Lattaquié, le Djebel Druze, Tripoli, et j’en passe.
De Gaulle revient au Levant en pleine chaleur du mois d’août 1942, et cette fois encore, il y séjourne plus d’un mois, toujours à la Résidence des Pins (et quelques nuits à Damas).
Mais l’esprit d’indépendance, et les intrigues des envoyés de Londres ont mis les libanais sur le chemin de l’indépendance politique. Celle-ci est arrachée en novembre 1943 à la puissance mandataire affaiblie, et Beyrouth ne reverra plus celui qui vécut fort mal cet épisode. Sans que cela l’empêche de garder au Liban une attention (une affection ?) particulière qui le poussera à réagir violemment lorsque les commandos israéliens viennent en 1969 détruire la presque totalité des appareils civils de l’aviation libanaise, en suspendant des livraisons d’armes à Tel Aviv, pourtant allié de Paris depuis plus de 15 ans. Alors jaillissent les paroles qui décrivent nos cousins sémites comme « un peuple sûr de lui et dominateur », paroles qui ne lui seront jamais pardonnées par les juifs (et la gauche française) mais qui consoleront tant d’Arabes atterrés par le désastre de la Guerre des 6 jours de juin 1967.
Ainsi s’achève notre course à travers les siècles. Je n’ai évidemment pu ici inclure, loin s’en faut, toutes les figures et personnalités notoires qui ont pu « passer par chez nous »mais j’ai tenté en quelques pages de rappeler qu’il en est venu, et reparti, de fort prestigieuses ou célèbres, ce qui justifie que l’on dise de notre pays qu’il a depuis toujours (!!!) été au carrefour du monde et au cœur de l’Histoire.