APHRODITE

Le nu le plus célèbre de l'histoire de la sculpture :
L'Aphrodite de Cnide de Praxitèle
Ou : Un Modèle de perfection sculpturale

Ce texte a pour objet de vous raconter une Histoire curieuse et, dans la foulée, faire simplement défiler une partie des grandes œuvres de la statuaire Antique sans vous surcharger de technique ou de détails pointus = je vous propose d'aller à la rencontre d'une statue, de fait un nu féminin du célèbre Praxitèle, un nu qui va être le tout premier nu artistique monumental de notre Histoire, l'Histoire de la civilisation Gréco-romaine, et par extension, moderne.

La statue magnifique qui est l'objet de notre intérêt va marquer pour plus de 22 siècles toute la production artistique de notre civilisation, et ayant représenté a sa conception une transition hardie dans la statuaire grecque, va définir le nu féminin classique, et être le standard sur lequel on mesurera toutes les œuvres ultérieures, j'oserai même dire les chefs-d'œuvre qui vont aborder le thème éternel de la beauté féminine. Toutes les Vénus qui vont jalonner non seulement l'Antiquité, mais aussi la Renaissance européenne et le classicisme, tant en peinture qu'en sculpture…, donc depuis quatre siècles avant l'ère chrétienne jusqu'au début du 19e siècle font référence a cette statue. . Et tout cela, avec le portrait grandeur nature d'une courtisane grecque, donc d'une prostituée de haute volée, qui a été au centre d'un scandale retentissant avant d'être immortalisée par un génie qui lui donna les formes de la déesse de l'Amour. Car l'Aphrodite (ou Vénus) de Cnide qui me fascine, et qui je l'espère, va vous intéresser, a eu pour modèle la courtisane athénienne Phryné.

C'est cet épisode spécial de l'Histoire de l'Art que je vais tenter d'illustrer avec la légende de la CNIDIENNE. Cette Cnidienne dont pas moins de 50 copies gréco-romaines ont survécu jusqu'à nos temps modernes !

VOYAGEONS !!!

Je vous demande de partir avec moi pour un voyage en Méditerranée Orientale, destination : la Turquie du sud-ouest, si courue par notre tourisme contemporain, cette Turquie qui était totalement grecque dans l'Antiquité…

Notre voyage peut se situer entre 360 ou 350 avant JC et 325 après JC… A l'époque, on cabotait dans des embarcations a voile ou a rameurs, c'est à dire que l'on ne s'éloignait pas trop des côtes, on évitait la haute mer, et surtout on ne s'aventurait pour les grands trajets qu'entre avril et octobre, la Méditerranée effrayant les marins les plus chevronnés en dehors de la belle saison

Quittons le Liban, terre de lait et de miel, berceau de la pourpre et du bois de cèdre, d'Adonis et d'Astarté, et longeons les côtes jusqu'à l'ouest de la Turquie, et, pas très loin du village de vacances moderne de Marmaris, nous risquons d'être bloqués en juillet et août au cap Tropion par un vent du nord, le fameux Meltem de la mer Egée, vent froid contraire qui empêche les embarcations de franchir le cap allongé et de continuer le périple. Comme tous les marins pendant des siècles, pour attendre que le vent tombe (car il peut durer jusqu'à cinq jours en grandes rafales froides venues d'aussi loin que la Mer Noire- aujourd'hui encore il paralyse la petite navigation), réfugions-nous dans un port juste en dessous de ce majestueux promontoire, a l'extrémité de la superbe péninsule allongée de Rechadiyeh, justement dans un ravissant petit port naturel qui s'appelle alors Cnide ou Knidos. (Knidos veut dire ortie en grec). Aujourd'hui le site complètement déserté s'appelleTekir.

N'ayant pas grand-chose à faire, nous allons faire le tour de cette cité marchande, cité dorienne devenue une cathédrale de commerçants dont les fils ont essaimé et prospéré dans le monde ancien jusqu'à s'offrir un comptoir a Naucratis en Egypte, et un « Trésor » ou monument votif dans le site sacré de Delphes

Cnide a peut être atteint son apogée au 7e ou 6e siècle avant le Christ, certains chroniqueurs parlent, exagérément, de cent mille habitants, chiffre énorme pour l'Antiquité. Knidos est bâtie en terrasses avec un plan hippodamien ou les rues se croisent à angles droits. Ville natale de Ctésias , médecin célèbre et historien, d'Eudoxus , philosophe, astronome (on lui doit le cadran solaire ) et mathématicien, et surtout de Sostrate , l'homme qui conçut et bâtit le superbe phare d'Alexandrie, l'une des sept merveilles du monde antique.

A propos des 7 merveilles, nous nous situons là, si nous avons choisi pour notre périple, les 6 siècles cités plus tôt, dans un périmètre qui regroupe 3 de ces sept réalisations exceptionnelles de l'Antiquité = Plus au Nord, une autre péninsule très en pointe porte le tombeau du roi Mausole, ce superbe « Mausolée » si beau qu'il a donné son nom pour toujours aux grands monuments funéraires, a Halicarnasse, aujourd'hui appelée Bodrum… Encore plus loin, le Temple d'Artémis à Ephèse, construit d'abord par Chersiphron, puis refait sur ordre du richissime roi de Lydie, Crésus au 6e s., un parfait temple dorique aux proportions inégalées… Et plus au sud, sur l'île de Rhodes, et commandant l'entrée de son port, la gigantesque statue dite « le Colosse de Rhodes » Donc, un concentré touristique avant le temps. D'ailleurs, a l'époque, le tourisme, c'est précisément de faire la tournée des sanctuaires dédiés aux dieux)

A Cnide, nous visiterons les deux ports naturels établis dans les baies bien protégées du large, le grand Temple d'Apollon (Cnidien ou Tropien), celui de Déméter( avec une statue auj. au British Museum…), l'école de médecine, le théâtre, le sénat, des jardins suspendus, mais tout le monde nous poussera a monter sur une butte aux pentes ardues, d'où l'on jouit d'une vue magnifique sur le découpage de la côte et ou se situe le petit temple rond monoptère du sanctuaire d'Aphrodite Euploia, entièrement entouré par de charmants jardins. Pour nous convaincre, on nous assurera que tant de marins font escale ici, rien que pour visiter ce temple, consacré à une Aphrodite protectrice des marins.. Euploia…c.a.d. « du bon voyage » ou de la bonne navigation…Ce temple et la statue qui y trône au beau milieu sont l'objet de notre curiosité, car la ville frappe même des monnaies ornées de l'effigie de la sculpture. Nous sommes arrivés dans l'un des plus célèbres lieux de la grâce et de la beauté recréée, en bref de l'ART.

Aphrodite : Cette divinité d'origine asiatique fut probablement importée dans le monde grec à partir des rivages de Phénicie via l'île de Chypre qui lui est consacrée à jamais. (Ashtarouth, Ishtar, Astarté, Atagartis, puis Kupria = Cypris…) La Vénus des Romains, est l'épitome de la féminité, de l'exaltation des sentiments, c'est donc la déesse de la Joie, du mariage, du sexe et de la Beauté, mais aussi des jardins, de l'horizon marin, du firmament éclairé etc..etc…On raconte en mythologie qu'elle est née de l'écume.. (aphros » en grec), rejetée sur le rivage de Chypre au petit matin où elle apporte l'amour profane et l'amour sacré. Profane des courtisanes, du plaisir sensuel = Pandemos …en opposition a l'amour élevé = Ourania, du ciel.

D'ailleurs pour parler des « choses du sexe ", les Grecs disaient : « Ta Aphrodisia » !!!

On lui a dressé des Temples partout, ses sanctuaires se multiplient depuis le désert syrien jusqu'au Sud de l'Italie actuelle ou Grande Grèce, mais c'est ce tout petit temple rond, niché au milieu d'un bosquet d'arbres à fleurs, odoriférantes aromatiques, (myrtilles, platanes, cyprès) qui attire les foules, ce temple dont les colonnes doriques sont percées de deux ouvertures, devant et derrière, comme pour permettre d'aborder la statue de la déesse de face et de dos.

Le grand esthète que sera l'empereur romain Hadrien reproduira fidèlement 5 siècles plus tard le Temple et la statue chez lui dans sa superbe réalisation a Tivoli.

Voilà donc cette fameuse statue en marbre, grandeur nature, émouvante et sensuelle, œuvre du grand maître de l'époque, l'Athénien Praxitèle.

Le Temple - Tholos, sous sa coupole ronde, comporte 18 colonnes doriques, et deux ouvertures a l'opposé qui dévoilent un podium élégamment proportionné portant la statue, une statue si humaine, si parfaite qu'elle poussa Chariclès, compagnon de voyage du philosophe Lucien de Samosate , a l'embrasser… Une légende un peu osée veut même qu'un adolescent se soit laissé enfermer une nuit pour se livrer à un attentat à la pudeur et ait souillé le marbre dans un enthousiasme juvénile.

Alors, cette Aphrodite, cette Vénus qui sourit avec orgueil a sa beauté sans pareille, donc sans rivale, qu'a-t-elle de particulier pour être restée dans l'Histoire de l'Art comme unique ? Après tout, les Grecs avaient littéralement inondé leur monde ancien de statues, et les voyageurs historiens de l'époque parleront de pas moins de quarante mille œuvres distribuées sur 30 ou 40 cités majeures de l'Antiquité.

En quelques mots, en voici les titres et caractères : Elle est en marbre, en ronde-bosse, elle semble vivante dans ses proportions parfaites, elle est NUE, c'est un portrait dont le modèle est une Courtisane ! On l'a imité à l'infini… Et puis… elle a disparu !