Les grandes collections et leur contribution à la naissance des Musées

Des Farnèse aux Bourbon de Naples

Un homme, un souverain, va se singulariser dans l’Histoire des grandes collections et des patrimoines. Il s'agit d’un Bourbon. Charles III d’Espagne (1716-1788) qui fut roi de Naples et de Sicile avant de devoir régner à Madrid où ses aînés étaient décédés sans héritiers, va contribuer magistralement au culte de l’Antiquité en ordonnant des fouilles massives sur le site de Pompéi, la ville romaine martyre intégralement détruite et enterrée par l’éruption de 79 AD du Vésuve. Des trésors qu’on y exhume, il constitue un Musée Royal Bourbon à Naples, qui deviendra ensuite le vaste musée archéologique de Naples. De plus, Pompéi et Herculanum augmentent puissamment la dilection européenne pour le monde romain. Ayant hérité de sa mère, Elisabeth Farnèse, ultime descendante de la famille souveraine de Parme, une collection exceptionnelle de peintures, ce monarque éclairé, et populaire, en partance pour l’Espagne, eut le geste magnifique de laisser tous ses trésors, Farnèse, pompéiens, et autres à « sa »ville de Naples, répétant l’exemple de la dernière des Médicis et ajoutant une belle page au nationalisme patrimonial appliqué au monde de l’Art et de la mémoire . Voilà un Roi qui ne s’en va plus avec ses trésors sous les bras, mais qui les offre au peuple qu’il a gouverné.

En 1779, en Allemagne, le premier Musée ouvert auquel le grand public accède librement voit le jour à Cassel dans la Hesse. Il s’agit du Friedricianum , du prénom du prince qui le fait bâtir et inaugure le concept de plein droit en Europe. Pourtant, depuis le début du siècle, une superbe collection royale allemande est déjà organisée pour être pleinement offerte à la vue de tous. Nous voulons parler de celle de Dresde où l’Electeur, Auguste le Fort (qui sera aussi roi de Pologne), grand mécène s’il en fut, va dissoudre le cabinet des Arts et celui des curiosités de sa dynastie, « la Kunstkammer », au profit de véritables musées d’exposition : La superbe collection Chinoise au Zwinger, les petites merveilles d’orfèvrerie et les joyaux au palais royal de la ville, dans une pièce écrin appelée « Grüene Gewoelb, -le Coffre-fort Vert) ainsi que des tableaux et des sculptures de qualité. Ceci vaudra à Dresde le surnom de « Florence de l’Elbe » !

Bref, l’Allemagne rattrape son retard sur ses voisins. En Angleterre, Oxford, ville historique du SAVOIR, obtient le privilège d’instaurer le premier musée public anglais, l’Ashmolean, du nom d’un antiquaire qui a légué à l’académie ses collections. C’est l’aube de l’étroite collaboration entre Universités et Musées, qui restera, contrairement au monde latin, la marque significative du monde anglo-saxon. Le BRITISH MUSEUM de Londres, lui, date de 1753. Créé au départ pour recevoir les objets de la collection de Sir Hans Sloane(1660-1753), un physicien et naturaliste qui avait rassemblé 71 mille objets et curiosité, dont 40 mille livres, 7 mille manuscrits, des gravures, des dessins et bien sûr, des Antiquités, le Museum a pour première domiciliation Montagu House avant de se loger dans de vastes locaux néo-classiques de la City. Premier Musée National ouvert au public, tous genres confondus, ses possessions vont croître exponentiellement, surtout que son aile bibliothèque reçoit par décret royal une copie de CHAQUE livre édité en Grande Bretagne !

Le Louvre

C’est à la France que revient le privilège de créer « LE » musée prestigieux, musée qui deviendra à l’ère moderne le plus grand du monde. Le Louvre, car il s’agit bien de lui, est cet ancien palais royal situé au cœur de Paris, qui a été délaissé comme résidence par les Bourbon depuis longtemps, et dont on pense utiliser une partie pour en faire une galerie ouverte au public. Cette idée de « Musée National », qui a germé sous Louis XVI, reste inexécutée jusqu’à la Révolution, lorsque l’assemblée dite Constituante des représentants du peuple, adopte un décret en mai 1791, puis un la Convention le fait suivre par un 2e en juillet 1793, décidant de l’établissement d’un »Museum de la République ». En août 1793, on inaugure très symboliquement ce musée au Louvre, dans la vieille « Grande Galerie »d’Henri IV, qui court côté Seine le long de l’eau, bien que la présentation permanente au public d’un ensemble conséquent doive attendre le 7 avril 1799 pour s’accomplir. On y trouve toutes les confiscations effectuées par les révolutionnaires sur les collections d’une Royauté déchue, ce qui suffirait à meubler vingt galeries comme celle que l’on a agencé là. Et le public, admis 2 jours par semaine (et quelques heures seulement) défile dans la grande galerie admirer ce que ses anciens maîtres ont précieusement amassé depuis des siècles.

Ce sera donc Napoléon I , visionnaire et prompt à exécuter de grands projets, qui fera du Louvre le plus riche musée public du monde, en y allouant des budgets ambitieux jamais vus avant cela, et en le dotant du tribut d’œuvres d’Art prises aux nations vaincues pendant les guerres de la République et de l’Empire . Il exige aussi que l’on reçoive le public bien plus largement, et dans des salles bien plus nombreuses, six jours de la semaine. Qui plus est, il en confie la direction à un véritable savant, Vivant Denon qui y consacrera toute son énergie et sa passion. On triple la surface consacrée au Musée, Denon réussit également à mettre en place une scénographie , salle par salle , qui innove dans le genre. Dirigiste en tout, Napoléon impose une clarté salutaire dans la présentation. Enfin, on dynamise l’exposition annuelle des peintures contemporaines, dans le beau « Salon carré « du Vieux Louvre. C’est ainsi que tout évènement récurrent prend pour toujours le titre mondialement utilisé de « SALON ». Le Louvre se veut UNIVERSALISTE, dans la droite ligne de l’esprit des Philosophes du siècle des Lumières. L’apport est si réussi et abondant que le Louvre décroche un rang suprême, celui de PHARE MUSÉOLOGIQUE qu’il va garder jusqu’à nos jours. Paris, elle, est la capitale incontestée des Arts.

• Pour rappel, en 2014, le Louvre : c’est 35 mille œuvres exposées sur 60 mille mètres carrés, Mais c’est 445 mille possédées et entreposées dans les sous-sols, dont 145 mille graphiques. Depuis François Mitterrand, la surface totale du musée a passé à 210 mille mètres carrés.

Les Révolutionnaires français se voulaient supérieurs par la force de leur action, par leurs lumières et par les artistes français à tous les « peuples asservis » européens qui les entouraient, et considéraient que la France est le « seul pays au monde qui puisse donner asile à tous ces chefs-d’œuvre ». « Nous vous dépouillons pour mieux vous faire sentir vos richesses » , aurait pu être leur slogan. Paris et son Louvre, sous Napoléon, regroupent et mettent réellement en valeur des œuvres célèbres, comme l’Apollon du Belvédère, le groupe du Laocoon, le Gaulois mourant, la Vénus Médicis, la Pallas de Velletri, la joueuse aux osselets, et une foule d’autres sculptures antiques. Sans compter les innombrables toiles d’Italie, et des écoles françaises

Mais tout n’est pas le fruit de spoliations. En effet l’Empereur a, pour exemple, acheté à son beau-frère, le prince Camillo Borghèse, 200 pièces de grande valeur et 451 autres objets sériés qui garantiront au Louvre une formidable base de statues antiques et de peintures italiennes magnifiques.

Lorsque Napoléon est battu en 1814, et que les souverains Alliés occupent Paris, ces derniers s’entendent pour laisser au Louvre tout ce qui leur a été pris de gré ou de force depuis 17 ou 18 ans, reconnaissant à ce splendide musée une place exceptionnelle dans l’Histoire de l’Art et dans l’entreprise didactique qu’il sert si bien. Hélas, pour Paris, le retour de Napoléon de l’île d’Elbe, aux Cent-Jours, détruit toute cette bonne volonté, Après Waterloo et la deuxième occupation de la France, les conditions des Alliés se durcissent et l’on dépouille le Louvre à tour de bras. Les maréchaux Blücher et Wellington président aux opérations, à la tête de milliers de soldats nécessaires pour mater la foule parisienne grondant devant les grilles du palais . Le Pape envoie le grand sculpteur Antonio Canova (qui a pourtant travaillé amplement pour Napoléon et la famille impériale) à Paris afin de sélectionner les œuvres à ramener à Rome. Ce qui provoque chez Talleyrand, à qui l’on présentait Canova comme « Monsieur l’ambassadeur », un commentaire sifflant : « Dites plutôt Monsieur l’emballeur » ! Vivant Denon, assigné à résidence dans son appartement du quai Voltaire rive gauche, d’où il peut embrasser la vue du Louvre et pleurer le départ manu militari de milliers de chefs d’œuvre , soupirera, meurtri : « Il leur manquera toujours les yeux pour les voir » !

Napoléon, qui a élevé Milan au rang de capitale du Royaume d’Italie dont il est le souverain, ordonne que l’on fonde un musée national à Brera, où l’on concentre les œuvres réquisitionnées dans les couvents et églises du nord de la péninsule. Le but est didactique, donc louable, et Brera est inauguré en 1809 avec seulement quatre salles, l’empereur ordonnant que l’on y ajoute cinq peintures majeures offertes par le Louvre.

Joseph Bonaparte, frère aîné de l’empereur, et éphémère roi d’Espagne, ouvre à Madrid le musée du PRADO à tous les visiteurs . Leur sœur, Caroline Murat, reine de Naples, constitua la première collection connue de montres, la maison Bréguet de Paris créant pour elle la première montre à porter au poignet. Leur frère Lucien, parti pour l’Italie en raison d’un différend familial avec Napoléon, se lance aussi dans une collection extensive de peintures d’exception, et, dans son domaine de la campagne romaine, entame la première grande campagne de fouilles de ruines étrusques, dont il retire des centaines d’objets.

Nous constatons donc qu’à l’orée du 19e siècle, le Musée fait définitivement partie de la vie des villes et capitales européennes. Si les dynasties royales et souveraines perdurent ailleurs qu’en France, et ce jusqu’au séisme de la Grande Guerre (1914-1918), leurs collections et leurs merveilles artistiques sont de plus en plus démocratiquement mises à la disposition de leurs sujets qui peuvent les contempler à loisir.

Les Etats-Unis d’Amérique

La prospérité inouïe des Etats-Unis d’Amérique amène de grands magnats du fer, du rail, du pétrole et autres champs économiques majeurs à prendre la relève des Papes et des Rois, et se convertir à la manie des collections, surtout que la noblesse européenne déclinante et donc désargentée offre des possibilités d’acquisitions prestigieuses. Des chefs d’œuvre par dizaines traversent l’Atlantique, pour se retrouver dans des demeures et des « mansions »de la Côte Est des USA, comme la superbe FRICK collection de New York. Sur la 5e Avenue, le magnat de l’acier Henry Clay Frick mêle dans un agencement d’un goût parfait des meubles, des peintures, des sculptures et des boiseries françaises . Il lègue le tout à une fondation qui aura pour tâche d’en faire un lieu ouvert au public. Un genre nouveau est né : le musée logé dans un appartement ou une maison À VIVRE, entièrement meublé et apparemment fonctionnel, mêlant avec raffinement les objets et les styles.

Le Huntingdon Museum de San Marino en Californie va plus loin. Construit entre 1900 et 1911 pour un milliardaire du rail, il comprend une immense bibliothèque (y compris historique, avec par ex. une Bible de Gutenberg !), de l’Art britannique, de l’argenterie, de la céramique, 14 mille dessins et aquarelles, mais surtout, il ajoute autour du bâtiment des jardins botaniques exquis reproduisant des schémas de paysagisme divers dans la tradition européenne et japonaise.

La fondation Getty, en Californie, double son impact sur le monde de l’Art, puisqu’elle scinde ses richesses entre la villa où John Paul Getty vécut à Malibu, conçue à la romaine, réservée à l’Antique et à la sculpture, et l’exceptionnel centre moderne et polyvalent qui couronne la colline au-dessus de Brentwood.

Quant aux Guggenheim, tant celui de New York que celui de Bilbao, une dimension d’audace architecturale de l’enveloppe extérieure s’est ajoutée à la popularité incontestable des contenus, les bâtiments devenant eux-mêmes des ouvrages d’Art spectaculaires et innovants.

Conclusion

De la Vanité de potentats et souverains qui amassaient du « BEAU » exclusivement pour leurs yeux et pour leur gloire, la concentration de merveilles artistiques a évolué vers la notion de Musée national (patriotique ?) porteur d’un message éducateur et initiatique. La civilisation et la MÉMOIRE sont au plus haut degré servis par ces PHARES de l’ART, dont la fréquentation n’a pas cédé devant la mondialisation du Virtuel qui a introduit des millions d’images dans l’espace privé de l’homme connecté.

Enfin les Musées se sont lancés récemment dans une activité nouvelle, celle d’encourager par la pratique comme de susciter des intérêts artistiques et des vocations nouvelles. Mais ceci est un autre sujet.

Ayant démontré le lien entre les collections du temps passé et les musées qui font aujourd’hui notre bonheur, laissons le mot de la fin à Sacha Guitry qui versifia :

On dit que nos Rois dépensaient sans compter, qu’ils prenaient notre argent sans prendre nos conseils, Mais lorsqu’ils nous laissaient de pareilles merveilles, ne nous mettaient-ils pas notre argent de côté ?