“Les grandes collections et leur contribution à la naissance des Musées”
• Base de la Conférence illustrée donnée en Octobre 2013 au Musée de l’AUB
L’Expansion phénoménale des Musées dans le monde continue malgré l’irruption de la technologie de communication qui a mis les Trésors de la Terre entière sur nos écrans de Télévision et d’ordinateurs personnels. Le grand public se presse de plus en plus dans les bâtiments où l’Art, les Arts, et le Science s’étalent au bénéfice des yeux et de la connaissance de Tous. Le Louvre de Paris frôle les 10 millions de visiteurs annuels, le British Museum de Londres environ 6 millions, tout comme le MET de New York, suivis par les Musées du Vatican, 5 millions, la National Gallery et le Tate de Londres, même fréquentation, le musée d’Orsay (encore Paris) environ 3 millions, le Prado de Madrid 2,7 millions, le MOMA de New York 2,6 millions, l’Ermitage de Saint-Pétersbourg environ 2,4 millions, et j’en passe…
A titre de comparaison, le MET de New York reçoit 6 millions de visiteurs IN SITU pendant que son site Web enregistre 47 millions de “Hits” (consultations en ligne) par an.
Cet engouement universel n’a d’ailleurs pas ralenti avec la mondialisation et l’étalement du bien-être matériel, puisque les processions de touristes japonais, chinois et coréens envahissent sans cesse les couloirs des temples de l’Art occidental.
Je me propose ici de reprendre brièvement l’Histoire de ces célèbres lieux de culture, surtout á travers les grandes collections privées européennes qui ont si puissamment contribué à la naissance de ces Musées , collections que nous devons à des souverains, princes, Papes, et milliardaires , en fait les puissants et les fortunés qui eurent les moyens d’acquérir (ou de s’approprier sans vergogne) de se constituer des collections qu’ils voulaient au début exclusivement servir leur prestige et leur renom personnels.
Le Mouseion d’Alexandrie
Mais permettez-moi tout d’abord de m’attarder sur L’Origine du mot Musée. Ce terme, comme tout le monde sait, vient d’Alexandrie, cette vaste métropole antique ou l’un des lieutenants d’Alexandre le Grand, Ptolémée, fils de Lagos fonda dès la fin du 4e siècle avant JC un royaume pharaonique en Egypte sur qui sa dynastie lagide régnera sur plus de trois siècles et ne finira qu’avec la célèbre (et belle ?) Cléopâtre VII a peine 30 ans av JC - Entre 300 et 290 avant JC, le lagide confie à Démétrios de Phalère la création d’une Bibliothèque dont Zénodote sera le premier bibliothécaire. Des 270 av JC, l’inventaire du poète Callimaque dénombre plus de 500 mille œuvres entreposées à Alexandrie. Cette bibliothèque, est bientôt intégrée dans un Institut intitulé « MOUSEION », un institut de recherches pour érudits et savants, que l’on situe dans le quartier royal et sécurisé du « Bruchion », le long des quais. Grace au souverain hellénistique et à ses conseillers grecs, Le Mouseion devient un réceptacle unique et gigantesque du Savoir Antique, une espèce de concentré sur « Campus » de la connaissance ou vivent et exercent des philosophes, des grammairiens, des philologues, des géographes, des mathématiciens, des astronomes, des médecins, des botanistes etc.
On nomme cette université (avant la lettre) Mouseion Ou Museion en l’honneur des MUSES, ces déesses grecques censées protéger les Arts et les Lettres. Au nombre de Neuf, les Muses sont les filles de Zeus (Jupiter) et de Mnémosyne, et avaient pour lieu de séjour permanent le Mont Parnasse ou l’Hélicon, en Grèce centrale. Remarquons que Mnémosyne, c’est la MÉMOIRE chez les Grecs, et quoi de plus approprié que nos Musées, gardiens des Beautés passées (et présentes) portent l’intitulé des filles de la MEMOIRE, garante de la fidélité au Passé, au Patrimoine humain !!!!
Donc, à l’évidence, ce premier « Musée », s’il acquiert et préserve des écrits, n’expose rien au public. Le Mouseion d’Alexandrie disparait en plusieurs étapes malheureuses, que je traite d’ailleurs dans mon article réservé à « L’incendie de la Grande Bibliothèque » (cf. ce même site web)-
Mésopotamie, 6e siècle avant JC
On peut déduire de ce que nous venons de relater que la première institution qui préserve et trie des objets de valeur historique ou culturelle surgit donc la, 300 ans avant notre ère. Pourtant, il faut préciser qu’au début du 20e siècle, l’archéologue et chercheur anglais Leonard Woolley , lors de ses fouilles extensives en Mésopotamie sur le site d’UR (Our) découvrira une collection d’objets rangés accompagnés par ce qui semble bien être des étiquettes cylindriques d’identification en argile, avec 3 langues inscrites, donc probablement des archives et objets qui appartinrent a des prêtresses précédentes, le tout au nom d’une princesse, Ennigaldi-Nanna, fille du souverain néo-babylonien Nabonide (6e siècle avant JC). Voilà donc une espèce de petit musée privé qu’une prêtresse babylonienne a constitué, l’on ne sait dans quel but. La série reste donc à ce jour le plus vieux musée jamais retrouvé dans le monde.
• Comme vecteur et support de la culture écrite, le Parchemin succède au papyrus égyptien vers le 4e siècle AD. Il doit son nom (« Pergamênê ») à la ville de Pergame, en Asie Mineure Ionienne, une cité hellénistique prospère, dont le roi Eumène II (un Attalide) en développa la fabrication. Contrairement au papyrus végétal, le parchemin est réutilisable et va régner sur les temps jusqu'à la fin du Moyen-âge, surtout avec les palimpsestes
• A l’époque de la dynastie musulmane Abbasside, le papier chinois remplace lentement le parchemin.
Il faut attendre le 2e siècle AD (de notre ère) avant de rencontrer un empereur romain qui voudra se constituer son propre musée privé d’œuvres d’Art célèbres, dans sa Villa des environs de Rome, a Tivoli. Hadrien, qui voyagea longuement dans l’empire romain qui en était à son apogée, décida de se faire construire non pas un bâtiment conçu pour son délassement, mais un domaine étendu truffé de répliques d’édifices grecs et égyptiens, de sculptures antiques originales ou de bonnes copies qui représentaient le meilleur de ce que l’art gréco-romain avait produit jusque-là. D’autres empereurs ou consuls romains avaient cédé au plaisir de posséder des œuvres de qualité supérieure chez eux, mais Hadrien était véritablement le premier à s’offrir un grand musée très privé en plein air.
Byzance, la 2e Rome
Deux siècles plus tard, l’empereur Constantin qui fit de Byzance la nouvelle Rome, c.à.d. la capitale de l’empire, veilla a en agrémenter ses rues, ses portiques et ses forums de dizaines d’œuvres grecques célèbres, parsemant la ville de statues, stèles, obélisques, cette fois accessibles à tout un chacun. Constantinople, a très large échelle, restera jusqu’au 13e siècle, un musée à ciel ouvert. Des diverses fonctions que la propriété des merveilles artistiques assignent à leur étalage public, Constantin ajoutait celle d’éduquer par l’œil « son peuple » au geste égocentrique d’exposer ses richesses pour sa propre gloire et pour embellir « sa « capitale. Pour preuve de cette intention pédagogique, il suffit de noter que les plus grands Thermes impériaux (publics) de la ville, le Zeuxippos, avaient les murs de leurs couloirs ornés de plus de 80 bustes de personnalités historiques tels que philosophes, généraux et poètes. Tout comme la « spina »centrale du grand Hippodrome, qui pouvait accueillir jusqu'à 40 mille spectateurs, exposait au regard de tout un peuple d’autres statues pillées ou transportées de plusieurs coins de l’empire.
A quelques pas du Zeuxippos, sous l’ombre portée du gigantesque Hippodrome, on trouvait au 5e siècle le palais de Lausos, un grand chambellan et ministre de l’empereur Théodose, qui constitua la première collection concentrée du monde occidental formée de statues héroïques et mythologiques arrachées dans les temples païens de l’Orient romain, temples qui avaient été voués à la démolition par décision de Théodose (le Grand). C’est en esthète, et non pour sauver des idoles religieuses que Lausus fit transporter chez lui des statues célébrissimes (on en cite 13) dont le gigantesque Zeus d’Olympie du sculpteur Phidias (une des 7 merveilles du monde antique), l’inégalable Aphrodite de Cnide de Praxitèle (premier nu féminin de l’histoire de la sculpture), la Korè ou Héra de Samos, l’Athéna de Lindos, un Éros ailé, un Chronos de Lysippe, un Kairos, etc. Mal lui en prit ! Lausus mourut en 436 AD, et son initiative coûta cher à la postérité car l’incendie déclenché par une émeute populaire qui ravagea Byzance en 475 condamna sa collection, unique dans l’Histoire, qui disparut entièrement dans les flammes.
Pour en revenir au Savoir et aux textes transmis, au Moyen-âge, ce sont les Eglises, les Universités d’Europe, mais surtout les monastères qui assemblent et conservent des collections de manuscrits, d’enluminures, et d’objets du culte précieux. Tout comme les moines Bouddhistes en Asie.
• « Liber »= Pellicule située entre bois et écorce extérieure ; d’où le mot LIVRE, + Volumen = en latin : Rouleau (de Rota= Roue).
• En dehors des monastères et des Palais Royaux, il faut quand même noter la riche collection de tapisseries et d’enluminures des Ducs de Bourgogne, surtout Philippe le Bon, »Grand-Duc d’Occident ».
Florence et les Médicis
Avec la fin du Moyen-âge et la Renaissance italienne, nous déplaçons notre attention vers Florence , ou les MEDICIS symbolisent plus que toute autre la splendide aventure d’ une famille entière de Banquiers et Grands Seigneurs devenus pour des générations des collectionneurs invétérés, mais aussi des mécènes avertis, et cela sur 300 ans sans discontinuer. Cet instinct couvrira toute l’époque qui va depuis Laurent le Magnifique jusqu’au dernier Médicis, mi-18e siècle. La Toscane qu’ils dominent puis gouvernent est une province riche et un carrefour dans l’Italie de la Renaissance, à quoi la famille ajoute de manière ininterrompue des alliances matrimoniales prestigieuses avec les plus grandes familles régnantes d’Europe, dont les Valois, Bourbon et les Habsbourg.
A Florence au XVe siècle, on passe de l’ART ARTISANAL à l’ART INTELLECTUEL, une primeur en Europe, et la concentration du BEAU atteint des niveaux hors de proportion avec ce que l’on avait vu jusque-là. Villas et jardins, peintures, bronzes, œuvres antiques, orfèvrerie, manuscrits enluminés, le foisonnement des trésors des Médicis est hallucinant. Aussi un artiste, Bernardo Buontalenti, au milieu de tant de couloirs et salles encombrés de chefs d’œuvre, organise pour le Grand-Duc Francesco une grande pièce où il ‘arrange’ quelques œuvres exceptionnelles en une manière d’exposition théâtrale : C’est, au Palais des Offices, la fameuse « TRIBUNE » où trône la statue de la Vénus antique au milieu de peintures de Salviati, Pontormo, Bronzino et Vasari. La chose se répète au nouveau palais Pitti, avec la salle dite de Mars. L’exposition muséale vient ici de connaître une évolution importante, la scénographie de l’exposition artistique.
C’est la toute dernière descendante de la dynastie en voie d’extinction, Anna Maria Luisa (1661-1743), qui, revenant vivre dans sa ville natale après son veuvage de l’Electeur palatin du Rhin, Johann Wilhelm de Neubourg qui fera la fortune future de Florence en léguant à la Ville, et non au futur souverain ou Grand-Duc, toute la collection de ses ancêtres. Bien qu’empêchée d’hériter du pouvoir, et voyant que les souverains d’Europe s’entendront sur un Grand-Duc étranger, elle mit comme condition de transmission paisible et consentie du Grand-Duché à un mâle, en l’occurrence un Lorraine-Habsbourg, de laisser l’immense TRÉSOR accumulé par les Médicis à Florence et ses habitants, en indivis. L’Europe peut avoir la gestion politique, MAIS les florentins reçoivent un legs inégalable, une sorte de geste républicain, avant et après la lettre. Depuis cet héritage, le tourisme d’Art, puis le tourisme de masse célèbrent par milliers, par millions de visiteurs le joyau de la Renaissance que fut Florence, grâce en très grande partie aux Médicis.
Au zénith de son Histoire, au XVIe siècle, la famille de Médicis donne deux Papes à la Chrétienté qui prendront avec eux à Rome leur goût, je dirai leur RAGE du BEAU. Ce sont nommément Léon X (Pape entre 1513 et 1521) et Clément VII (Pape de 1523 à 1534), dont l’un est un enfant naturel. Ils prennent une place importante dans la série de Papes qui, entre 1471 et 1534, amenèrent par leur faste dispendieux, leurs mœurs relâchées et leur corruption éhontée la montée du protestantisme . Ironie de l’Histoire, ce sont les moins vertueux et même les moins recommandables des Papes catholiques qui vont, avec ceux , un siècle plus tard, de l’ère baroque, léguer à la postérité une ville de ROME exceptionnelle de richesses artistiques, ce qui en fait jusqu’aujourd’hui LA VILLE ETERNELLE, non seulement en souvenir de son Empire politique Antique mais aussi pour son éclat universel.