BEATRICE CENCI - ART
Les conjurés furent condamnés à mort. La ville s'émut du sort des jeunes meurtriers, décrits comme des victimes poussées à bout par un monstre, ce qu'elles étaient probablement. Une forte pression populaire fut exercée afin au moins d'épargner la peine capitale aux Cenci, à tout le moins à la jeune et belle Baronne, car Béatrice avait 16 ans alors (D'autres chroniques disent 22 ans). Mais le Pape Clément VIII (Aldobrandini) refusa d'être magnanime envers des parricides, suprême péché aux yeux de l'église et atteinte impardonnable à l'autorité parentale, fut-elle abusive et luxurieuse. Le Pape n'était-il pas, après tout, un père surtout, le Père absolu des fidèles et de chaque chrétien ? De plus, l'immense fortune Cenci confisquée qui allait tomber dans l'escarcelle de l'Eglise puis des Aldobrandini n'était-elle pas un motif valable de sévérité ? La même année, Clément VIII avait déjà laissé exécuter Giordano Bruno….
1. Une autre version, peu crédible, veut que ce soit Bernardo (Bernardino, fils du 2e mariage ?) qui ait, après sa libération, cédé à vil prix ses biens à la famille Borghèse.
La populace romaine s'exprima à travers les petits billets anonymes glissés dans le Pasquino, cette bouche de Vérité, piazza Pasquino, très proche de la piazza Navona. Mais les centaines d'appel à la compassion et à la grâce papale restèrent sans réponse.
Les exécutions eurent lieu le 11 septembre 1599, un an et 2 jours après la mort de Francesco. Elles furent accomplies publiquement sur la place du pont St Ange, Piazza del Ponte, tout à côté du formidable château du même nom qui était le siège de la puissance politique et militaire de la Papauté, devant une foule énorme. Il fallut mobiliser des centaines de gens d'armes pour maintenir l'ordre car l'affaire était loin d'être admise par le peuple grondant.
Giacomo fut torturé aux fers rouges puis eut la tête écrasée par une masse et pour finir écartelé. Béatrice et Lucrezia furent décapitées, et seul le tout jeune frère Bernardo (12 ans) gracié mais emprisonné dans un cachot profond et dépouillé de tous les biens des Cenci. Il en sortira un an plus tard, pardonné pour bonne conduite.
Il y eut du retard à décapiter Beatrice, car on attendit que le Pape, depuis le château St Ange, finisse ses prières face au lieu funeste. La jeune fille, qui s'était, sans aide, allongée sur la planche sous le couperet, se remit debout d'impatience. Lorsque le bourreau finit par décapiter la condamnée, un immense cri d'horreur retentit dans la foule.
De nouveau, une grande foule suivit le tombereau qui prit les restes de Béatrice à sa dernière demeure dans l'église San Pietro in Montorio.
La veille de l'exécution, ou la semaine précédant, la légende voudrait que le peintre baroque Guido Reni (Connu comme le Guide) (1572-1642) ait obtenu de pouvoir esquisser la jeune et belle Beatrice dans sa cellule. Il en tira un tableau célèbre qui a marqué son temps et contribué grandement à la renommée tragique de « LA CENCI ». Beatrice y arbore un visage angélique et apaisé à quelques heures de son martyre. Le tableau fut aperçu par Shelley en 1818 au palazzo Colonna à Rome. Plus plausiblement, le portrait pourrait être l'œuvre d'une élève de Reni, Elisabetta Sirrani, qui l'aurait peint en 1662 environ.
Les romains crurent longtemps que le spectre de la belle décapitée apparait la nuit du 10 au 11 septembre de chaque année sur le Ponte degli angeli, tenant sa tête entre ses mains.
Le sculpteur Stefano Maderno a emprunté les traits de Beatrice pour sa sculpture de Sainte Cécile, martyre romaine, dont le corps fut retrouvé, pratiquement intact, cette même année 1599.
Le poète anglais Percy Bysse Shelley, séduit par le portrait, a tiré au 19e siècle (1819) de cette histoire une tragédie romantique en vers, qui ne fut jouée qu'en 1922. Pour lui, la Cenci est une victime angélique de son père.
Un tableau d'Achille Lombard, datant de 1840-1850, dépeint l'emprisonnement de la Cenci à Rome. Achille Leonardi a peint le Guide peignant la Cenci dans sa cellule.
L'américaine Harriet Hosmer a sculpté au milieu du 19e siècle une Beatrice Cenci allongée (résignée ?) dans sa cellule, tenant un chapelet à la main.
• Le Pasquino est ce qui reste d'une statue hellénistique du 3e s. BC. Il tirerait son nom de l'échoppe attenante d'un coiffeur qui jouissait d'un esprit vif et critique, un « titi »romain du 16e siècle.
• Le Caravage, lui, aurait bien assisté à l'exécution, d'où sa maîtrise dans son tableau « Judith et Holopherne »…
• Clément VIII (1536-1605) né Ippolito Aldobrandini devint Pape en 1592. Il favorisa les sciences, donna l'absolution à Henri IV de France, réduisant ainsi l'influence espagnole à Rome. Il servit de médiateur entre les Jésuites et les Dominicains sur la nature de la grâce. Sous son règne, on édita une nouvelle édition de la Vulgate. Aldobrandini = Famille toscane, connue dès le 13e siècle.
• Dans le sillage de la passion de Shelley pour la Cenci, des dizaines de copies 19e siècle du portrait renouvelèrent l'engouement pour la Belle Parricide.