LE SIEGE DE TYR
La victoire revient donc aux Macédoniens, l’empereur s’enfuit vers le centre de ses territoires à l’Est, abandonnant même sa propre famille, femmes et enfants. Alexandre reçoit la soumission de la Syrie et de ses villes, avec principalement un butin fabuleux raflé à Damas, le Trésor de Darius qui avait été abandonné là par le monarque Perse et sa cour.700 mille Talents d’Or, 7 mille bêtes de somme, des chars de combat, des chariots de transport, des étoffes précieuses, des armes en quantité, et même 329 courtisanes ( !!!) et 275 cuisiniers tombent aux mains de Parménion, envoyé à cet effet par le jeune Héros grec à l’intérieur des terres. L’or lui permet de rémunérer généreusement son armée et de continuer sa marche incessante vers le Sud. Straton, souverain d’Arados a fait allégeance. Byblos s’offre à lui en l’absence de son roi, Sidon se livre aussi.
Alexandre, avant de surgir en Syrie, a donc fait un choix stratégique exceptionnellement réussi en optant pour une campagne terrestre, tournant le dos à la mer où la puissante flotte perse est intacte et maintient son hégémonie. En esquivant l’affrontement sur mer, où les macédoniens sont encore bien inférieurs en nombre et en points d’appui, il a joué (comme au poker) toute la mise sur la furie belliqueuse des siens au combat terrestre. Il veut prendre de vitesse l’empire Perse. Et il a eu raison ! Car son succès sur terre lui a acquis sans coup férir toutes les villes de la région, et les ports qui se rallient et deviennent donc interdits aux amiraux du « Grand Roi »perse.
Suit une pause de repos, pendant laquelle il se rend très populaire en permettant à une partie de ses guerriers de rentrer dans leurs foyers pour se reposer, et, peut-être y prendre compagnes, séduites par les échos de leurs exploits militaires. Cette démobilisation partielle est inédite dans le monde Antique, mais elle contribue à propager rapidement « at Home », en Macédoine et en Grèce, la réputation, que dis-je, le mythe du jeune Héros.
Puis Alexandre, cheminant probablement le long de la côte, emmène ses troupes vers l’Egypte, ce pays où le Nil a maintenu une prospérité agricole inouïe depuis des millénaires, et que son éducation classique a sublimé dans son imaginaire jusqu’à en faire l’autel nécessaire à sa consécration de demi-dieu, donc de Héros.
Faisons une parenthèse ici pour évoquer une particularité de cette côte phénicienne, qui est la seule dans tout le bassin méditerranéen oriental à posséder trois promontoires majestueux qui découpent la route du bord de mer, trois fières barrières qui tronçonnent le littoral et en rendent le tracé difficile à emprunter pour les armées et tout leur équipement lourd. Ce sont, du nord au sud, Ras-Chekka, puis celui rocheux de Nahr-el-Kelb, le Lycus de l’Antiquité, et enfin au sud, celui calcaire de Ras-el-Abiad ou Ras Nakoura, le « promontorium Album »de Pline l’Ancien. Ce sont ces trois hauteurs trônant sur la côte libanaise qui ont souvent poussé les troupes armées à sillonner plutôt le plateau de la Bekaa, qui, bien qu’élevé à environ 1000 mètres d’altitude, est de niveau relativement plane, mais aussi démuni de tous les cours d’eaux et les torrents qui descendent du Mont Liban jusqu’à la Méditerranée. Et c’est pourtant ce chemin difficile qu’empruntent les macédoniens à l’automne 333.
Parvenu devant Tyr, il se propose de passer sur l’île afin d’y prier dans le fameux temple de Melkart. Les délégués tyriens qui sont venus à Sidon palabrer, lui refusent sa demande. La plupart des historiens anciens rapporteront qu’alors, Alexandre, dans un de ses accès de rage dont il a le secret, et s’estimant infiniment blessé dans son orgueil, décide de prendre la ville de force. Rejetons tout de suite cette version, qui accrédite le prétexte qu’Alexandre a dû publiciser alors. Rallions-nous plutôt au calcul du stratège qui ne peut laisser sur ses arrières, tant sur terre qu’en mer, une ville prospère, irréductible, qui offre une soumission nominale, et qui a manifestement la ferme intention de garder une marge de neutralité très ambigüe, voire d’indépendance, dans la grande partie impériale qui se joue. Et qui peut, sait-on jamais, avec Alexandre fourvoyé vers l’Egypte, ou même vers l’Euphrate plus tard, jouer à nouveau la carte Perse et servir de base arrière à une contre-attaque et surtout de base navale à la flotte de Darius. Cette flotte qui a perdu le littoral phénicien et des ports en Ionie, mais qui peut toujours compter sur bien des ports dans les îles de l’Egée. Sans compter la grande île de Chypre, où la population phénicienne est nombreuse, et qui est aussi un éventuel fournisseur d’approvisionnements à l’un ou l’autre des camps.
La prise de Tyr devient donc logiquement nécessaire afin qu’Alexandre puisse continuer son extraordinaire épopée vers l’avant. Au diable les appréhensions de son entourage, qui lui rappellent la pugnacité des tyriens et leur résistance toujours couronnée de succès face aux sièges que deux, voire trois empires ont mené contre eux. Au diable la notion que les phalanges macédoniennes ont enregistré leurs victoires dans des charges audacieuses et ciblées, qui sont impossibles lorsqu’on assiège une ville aux murs épais et hauts, de surcroit sur une île bien ravitaillée par la mer par ses colonies et partenaires commerciaux. D’ailleurs, Alexandre n’aime pas les sièges, il l’a prouvé en laissant Ptolémée et 3 mille hommes finir d’assiéger Halicarnasse pendant que lui contournait l’obstacle et continuait sa progression en Asie mineure.
C’est décidé, on prendra Tyr, quoiqu’il en coûte.
Déjà, Palae-Tyr, la ville du littoral est naturellement tombée sans résistance. La population a fui, soit pour se réfugier dans la forteresse insulaire, soit pour se disperser dans les collines libanaises. La flotte tyrienne est bien là, avec ses lourds vaisseaux aux équipages rompus à la pratique navale et ses embarcations rapides si promptes à la manœuvre.
Tyr, sur son îlot rocheux, possède deux ports, l’un est tourné vers le nord, il est donc à l’abri de la très grande majorité des vents de méditerranée orientale qui soufflent du sud-ouest ou de l’ouest plus de 320 jours par an. L’autre regarde le sud, il s’ensable plus vite avec tout ce que les courants charrient du sud, depuis l’embouchure du Nil égyptien jusqu’au littoral sablonneux de la Palestine.
La ville, distante de quatre stades du littoral, est défendue par sa flotte, mais aussi par des remparts qui s’élèvent à 50 pieds , donc 15 mètres au-dessus des flots, entre rochers et pierres de taille. Pour se préparer au choc, les responsables de la ville évacuent une bonne partie de la population, vieillards, jeunes filles, enfants, vers Carthage qui recueillera les réfugiés et les traitera vraiment bien. Cela fera autant de bouches de moins à nourrir. Les deux ports sont barrés par des chaînes gigantesques et des solives de bois.