Giulia Gonzaga (Julia de Gonzague)
Voici l’histoire bien extraordinaire d’une dame dont la beauté et la renommée furent si grandes qu’une armée entière débarquée par une flotte non moins importante effectua un raid spectaculaire afin de l’enlever au profit d’un empereur lointain. Il s’agit de la superbe Giulia Gonzaga que le redoutable et légendaire corsaire Barberousse tenta de ravir pour l’offrir au Sultan Ottoman Soliman le Magnifique au 16e siècle.
Giulia naquit en 1513 au sein d’une famille de nobles italiens, dans cette péninsule morcelée en une myriade de petits Etats, en pleine Renaissance. Les Gonzaga, du nom d’un village au sud de Mantoue régnèrent sur les duchés de Mantoue (Mantova), Montferrat, Guastalla, etc. mais aussi des marquisats et des principautés, entre 1328 et 1627.La famille donna 9 cardinaux à l’Eglise. Le premier Gonzague qui gouverna Mantoue fut Luigi, podestat de la ville en 1318, puis capitaine du peuple, qui vécut jusqu’à l’âge de 92 ans ! Il accrut son importance en épousant une princesse allemande du Nord, Barbara, fille de l’Electeur impérial de Brandebourg. Le Marquisat, qui date du 15e siècle, fut transformé en Duché en 1530. La famille rivalisa avec d’autres grands princes italiens dans le mécénat d’Art . Les Gonzague subsistent aujourd’hui encore, dans la lignée de Vescovato. Par ailleurs, un rameau franco-italien exercera du 16e au 18e sa souveraineté sur les duchés français de Nevers, Rethel, Mayenne, principauté d’Arches.
Giulia était la 7e fille de Lodovico Gonzaga et de Francesca Fieschi. Son père, vague cousin du souverain de la ville de Mantoue, et lui-même seigneur de Gazzuolo (où naquit Giulia) et comte de Sabbioneta, la maria très tôt à un patricien romain, Vespasiano Colonna , Comte de Fondi, Duc de Tragetto , et fils d’un condottiere dénommé Prospero qui s’était couvert de gloire au service de l’empereur Charles Quint dans les incessantes luttes internes du nord de l’Italie. Vespasiano, qui était déjà veuf d’une certaine Beatrice Appiani, fille du seigneur de Piombino sur la côte toscane, eut la délicatesse dans son second mariage de trépasser bien vite, en 1528, laissant l’adolescente Giulia maîtresse d’elle-même et d’une fortune intéressante, ce qui était un sort bien plus enviable que toutes les épouses de l’époque, lesquelles subissaient l’autorité complète de leurs maris, y compris sur leur propre dot et revenus. La superbe jeune femme, à peine âgée de 15 ans se retrouvait veuve et l’objet de bien des convoitises. Car non seulement Giulia jouissait d’une beauté saisissante et d’une grâce exceptionnelle dans son maintien et sa silhouette, mais de plus possédait une intelligence aigué et un comportement distingué. Dans son fief de Fondi, derrière les épaisses murailles d’une forteresse médiévale, Giulia régnait dignement sur une petite cour où les lettrés et les artistes se frottaient aux hobereaux et aux notabilités du Latium. Cette combinaison de vertus dans une Italie très sensible au Beau et au raffinement, provoquèrent une onde grandissante de nouvelles chuchotées et de descriptions enflammées qui portèrent la réputation de la dame aux quatre coins de l’Europe. La Méditerranée était secouée par la lutte maritime que se livraient les deux grandes
religions monothéistes d’alors, le christianisme catholique et l’Islam. Si le monde chrétien était divisé entre plusieurs souverains et princes, depuis le nord jusqu’à l’Espagne et la Sicile, le « Dar-el Islam » lui affichait une véritable unité sous la férule conquérante et active des Sultans Ottomans dont l’empire connaissait son apogée depuis la chute de Constantinople un demi-siècle plus tôt. Depuis les confins des Carpates européennes jusqu’au désert arabique, du Danube jusqu’à l’Euphrate et du Nil jusqu’à la mer Noire, le drapeau des successeurs d’Osman flottait sur des régions et des pays entiers. Les pirates barbaresques, venus surtout d’Afrique du Nord, rendaient la Méditerranée occidentale périlleuse pour le commerce et le transport, et il était bien fréquent que les pillards musulmans, non contents de prendre en esclavage des équipages entiers de vaisseaux chrétiens vaincus, avec des butins souvent importants, se risquaient même à ravager les côtes siciliennes ou calabraises, semant la terreur dans les petits ports et villages qui peuplaient l’Europe méridionale. Comme aux beaux jours de la conquête musulmane des 8e et 9e siècles, lorsque la poussée arabe atteignait son paroxysme, les rives du sud de l’Italie se vidaient, les populations préfèrent s’éloigner de la mer et se regrouper prudemment sur des collines d’où il était plus aisé de surveiller au loin toute approche hostile. Des hameaux entiers se blottissaient autour d’une tour de guet où l’on postait en permanence des gardes vigilants. Les seigneurs des grands fiefs, protecteurs de la paysannerie et de leurs féaux, comme au temps du Moyen-Âge, se devaient de maintenir à grands frais sous les armes une troupe aguerrie qui pouvait accourir rapidement si besoin était. Pratique qui avait baissé dans le Nord sauf lors des conflits territoriaux à répétition.
La peur des corsaires et des pillards turcs ou nord-africains unissait les hommes valides qui, en cas de capture, pouvaient finir leur vie comme rameurs sur des galères, pliés sous le fouet de la chiourme, les femmes dont les plus jeunes ou les plus appétissantes alimenteraient les Harems, les autres malheureuses peuplant les quartiers d’esclaves et de servantes des grandes villes du pourtour méditerranéen ; sans compter les enfants jugés en bonne santé dont le destin pour une vie entière était encore plus cruel. Seuls les vieillards, les invalides et ceux qui résistaient les armes à la main, périssaient sur le champ lors de combats ou de massacres marqués par les exactions et les incendies.
Belle, Sage et Bonne
Belle et altière, Giulia Gonzaga attira l’attention des plus grands artistes de son temps, qui en firent le portrait. C’est ainsi qu’il reste çà et là des copies de ces peintures, signées ou attribuées au Titien, à Sebastiano del Piombo et à Agnolo di Cosimo Allore que nous connaissons mieux sous le surnom de Bronzino. Il est à noter que les artistes faisaient surtout le portrait de reines, princesses ou très grandes dames de la noblesse. Ils faisaient par ailleurs figurer les visages gracieux de leurs modèles féminins roturiers dans des œuvres à thème religieux, commanditées, soit par des autorités ecclésiastiques, soit par des églises et couvents richement dotés, soit par des mécènes généreux. Que Giulia ait été peinte sans l’avoir sollicité ni fait partie d’une grande cour princière témoigne de sa célébrité.
De plus, la beauté de Giulia ainsi que ses grandes qualités humaines a été célébrée par une flopée d’auteurs et poètes du 16e siècle, et l’on ne compte pas les sonnets et textes qui lui ont été consacrés.
Barberousse
Une telle renommée en vint à chatouiller la curiosité puis l’intérêt d’un corsaire, le plus tristement célèbre d’entre eux, le fameux Barberousse. De son vrai nom Yakup Oglou Hizir , les Turcs vont le connaître sous le surnom de « Khayreddine » (« le « Bienfait de la Religion ») que le Sultan Ottoman Soliman le Magnifique lui a octroyé au vu de toutes les victoires maritimes et conquêtes de ports que l’homme a enregistré pour son suzerain. Barberousse, ou Barbarossa, est né dans l’île grecque de Mytilène (la Lesbos
de l’Antiquité) dans une famille modeste du bourg de Mola. Son père Yacoub Rayess, d’origine albanaise, est potier, sa mère Catalina était la fille d’un prêtre grec orthodoxe, elle donna plusieurs enfants à son époux, dont quatre garçons survécurent, nommément ‘Arouj (né vers 1474), Elias, Ishac, Khodr ou Hizir (né vers 1478). Ces prénoms nous laisseraient supposer qu’il s’agissait de chrétiens ou juifs récemment convertis à l’Islam. Car Mytilène, très proche des côtes, a été conquise depuis 1462 par le vainqueur de Constantinople, le Sultan Mehmet II dit El Fatih. Dans cette famille, c’est Arouj (connu aussi sous le nom de « Baba Oruc », prononciation turque Baba Oroutch, dont la déformation par les européens a fait Barbarouj puis Barbarossa en italien, ou Barberousse) qui se distingue en premier comme pirate en écumant depuis l’île de Djerba (Tunisie actuelle) et à partir de 1503 surtout les côtes d’Afrique du Nord. Entre 1504 et 1519, Aroudj transporte des milliers de musulmans surtout andalous rescapés de la Reconquista catholique espagnole vers l’Afrique du Nord, et c’est ainsi qu’il acquiert le surnom de reconnaissance de « Baba » ou Père, protecteur, pour tous ses passagers en fuite. Sa flotte passe de 3 vaisseaux rapides à plus de 40 galères ce qui pousse les émirs musulmans qui se déchirent entre Alger et Tunis à lui demander à tour de rôle secours. Devenu joueur essentiel dans la lutte armée, il finit par garder Alger pour lui-même, s’autoproclamant Sultan du grand port vers 1516. Puis, habilement, il se déclare vassal du Sultan Ottoman et de son grand empire qui s’étend depuis les Balkans et la Mer Noire jusqu’en Egypte et en Mésopotamie. Les territoires qu’Arouj gouverne deviennent donc un sandjak, c.à.d. une province ottomane, ce qui flatte le Sultan turc en acquérant un allié en pleine Méditerranée occidentale, et ne coûte au corsaire que des redevances régulières. Aroudj, qui a été rejoint depuis quelques années par ses jeunes frères Ishac et Hizir, est tué devant Tlemcen en mai 1518, alors qu’il dispute aux Espagnols des territoires, et c’est Hizir qui lui succède comme gouverneur (Beylerbey) des territoires algérois et commandant de la flotte corsaire ;
Agissant maintenant clairement pour la plus grande gloire du souverain turc, et jouissant d’un appui politique et militaire inégalable, le nouveau Barberousse enregistre succès sur succès et se voit confirmé en gloire par le surnom de Khayreddine que lui confère Soliman le Magnifique, lequel en fera plus tard son Kapoudan Pacha, c.à.d. grand Capitaine de la flotte ottomane sur toute la Méditerranée.
Khaireddine, grâce à ses rapines permanentes, et sa mainmise sur plusieurs ports marchands d’Afrique du Nord, va accumuler une immense fortune, sans jamais perdre la confiance de son suzerain ottoman. Chose étonnante, car il est de coutume pour les maîtres d’Istanbul, qui règnent à cheval sur trois continents, vingt races et plus de 3 millions de kilomètres carrés, de ne jamais laisser longtemps leurs grands commis et Grands Vizirs en place à la tête de l’administration ou de l’armée, recourant toujours à une exécution sommaire, étranglement par lacet de soie dans la noirceur d’une nuit profonde au fond des appartements , ou décapitation dans la cour intérieure du grand palais impérial de Topkapi et exposition publique de la tête de celui qui la veille contrôlait l’appareil de l’Etat, dans une des deux niches qui jouxtent la Grande Porte du milieu, la Ortakapi. Personne, absolument personne ne doit rester indispensable dans l’Empire, personne ne doit s’élever trop haut et trop longtemps à côté des héritiers d’Osman. Personne ne doit faire ombrage sous quelque forme que ce soit à celui que l’on révère comme « l’Ombre d’Allah sur Terre » . Et le Sultan d’alors, le fameux Suleimane al Qanouni (le Législateur), Soliman le Magnifique pour les européens, représente l’apogée du destin des Ottomans. Son règne restera le plus long de l’histoire turque, et, s’il a déjà échoué à prendre Vienne en 1529 après un siège marqué par les intempéries qui sauvent l’empire germanique, Soliman a étendu son pouvoir solidement
sur une immense portion de l’Europe de l’Est et du Centre, tout en contenant en Orient les remuants Perses.
Donc, Khaireddine Barberousse projette la puissance de sa flotte sur le bassin méditerranéen occidental, sillonne les mers depuis la Dalmatie jusqu’en Espagne, bat nettement le grand amiral génois Andrea Doria à Cherchell (côtes tunisiennes) en 1531 , et devient Grand Amiral de la flotte ottomane, toutes mers confondues, en 1533.